dimanche 2 janvier 2005

Nous sommes tous des journalistes


Dire que les technologies numériques sont en train de profondément changer le journalisme est une évidence. Les événements tragiques de l’Océan Indien viennent encore de l’illustrer. Quelques dizaines de minutes après que la première vague a eu touché les côtes , les premières images du tsunami étaient disponibles sur l’internet. Dans les heures qui ont suivi, des dizaines de blogs sont apparus publiant témoignages, nouvelles de rescapés, réactions à chaud, liens vers des dizaines d’autres sites offrant des documents ou signalant des ressources (La blogosphère en première ligne -Libération - 29 décembre 2004).
Les technologies numériques sont peut-être en train de changer notre perception du monde, rendant plus proches les événements lointains, des événements qui, il y a une dizaine d’années, seraient passés inaperçus ou seraient restés des nouvelles abstraites (
Modern technology makes tragedy seem close - 30 décembre 2004).
Il se peut que les technologies contribuent à l’émergence d’une conscience globale, nous permettant d’être plus attentifs à ce qui se passe en dehors de notre ville et de notre pays pour devenir de véritables citoyens du monde.

Depuis une quinzaine d’années, les technologies numériques affectent les différents maillons de la chaîne journalistique:
La collecte d’informations : Dans un premier temps, grâce aux satellites et au développement des réseaux de télécommunication, les journalistes ont pu, de quadiment n'importe quel point de la planète, envoyer plus rapidement leurs reportages à leurs rédactions. Désormais, tout individu est en puissance un reporter, capable grâce à son téléphone portable et à sa caméra vidéo de transmettre témoignages et images. Ce qui signifie aussi que tout événement est susceptible d’être filmé ou photographié et donc de devenir public, comme on l’a vu lorsque les soldats américains ont maltraité et humilié leurs prisonniers irakiens.
L’analyse et le traitement des informations : Les outils informatiques permettent d'accéder à de multiples banques de données, de les étudier et de les analyser plus rigoureusement, notamment en les croisant.
Dans un dossier de 1999 de la Columbia Journalism Review, on trouve d’édifiants exemples qui montrent comment l’accès facilité à de multiples bases de données a permis à des journalistes de remettre en cause des statistiques officielles, de démontrer que certaines lois n’étaient pas appliquées, ou de questionner l’apparition de soi-disantes tendances de comportements dans la société.
Le commentaire des informations et le débat public. Des milliers de blogs ou de forums de discussions commentent quotidiennement l’actualité, et parfois remettent en cause les informations données par les médias (désormais appelés MSM : Main Stream Media). Comme on le sait, les blogs ont joué un rôle important tout au long de la campagne présidentielle américaine de 2004, obligeant notamment CBS a reconnaître qu’elle s’était appuyée sur des documents incertains pour diffuser son reportage sur le passé militaire de GW Bush (
Blogs alter political landscape - SF Chronicle - 2 Novembre 2004).

Ceci, c’est la face positive des choses. Mais comme le soulignait
Jacques Ellul, cet immense critique de la société technicienne aujourd’hui un peu oublié, les technologies ont toujours des effets ambivalents sur les sociétés. En apportant des solutions à certains de nos problèmes, elles génèrent inévitablement de nouveaux problèmes.
Par exemple, en multipliant les sources d’information, les technologies numériques rendent le processus de sélection des informations plus compliqué. Les médias peuvent certes obtenir davanatge d’images et de sons, mais cela implique aussi de leur part un plus grand travail de vérification. Les technologies numériques favorisent les rumeurs en tout genre, voire les manipulations. Elles pourraient en outre favoriser l’émergence d’un "journalisme en chambre", les journalistes n’allant plus le terrain pour mener des investigations mais se bornant à manipuler et à mettre en forme des bases de données. Par ailleurs, un système d’information qui s’appuie trop sur les technologies numériques est hautement vulnérable. Que se passe-t-il lorsque les autorités politiques d’un pays décident de couper les réseaux, ou lorsque les ordinateurs tombent en panne? Certains Etats restent capables de mettre en place des systèmes sociaux de contrôle politique ou de censure si puissants et efficaces et puissants qu'ils annihilent toute libre utilisation des potentialités techniques de l'internet. Et ainsi, nous ne savons presque rien de ce que pensent ceux et celles qui fabriquent, en Chine ou ailleurs, les téléphones portables et les caméras vidéos grâce auxquels nous espérons rendre nos médias plus attentifs aux réalités du monde.

1 commentaire:

Mathieu a dit…

Bonjour!

Je suis d'autant plus d'accord avec votre dernier point pour avoit vécu la dissonnance entre les médias et le témoignage de ma famille, qui était sur place, heureusement saine et sauve. ( http://syvwlch.blogspot.com/2005/01/on-horror-perspective-and-media.html )

En bref, et dans la langue de Molière, je suis frappé par la coexistence d'un délai, certes réduit, dans l'acheminement de l'information et d'un biais, probablement involontaire, et souvent attribué à cette précipitation.

Merci, en tout cas, pour votre blog; très interessant.