mercredi 24 mai 2006

Vive la télé: L'incroyable paquebot de Monsieur Zanella

Cela se passait vendredi 19 mai sur France 3 dans l’émission Thalassa. Au début, on pouvait croire à un reportage de la série Strip-tease (cette émission d’origine belge qui vous déshabille en filmant des tranches de vie qui sentent bon le surréalisme). Un mineur de Lorraine, François Zanella, décide de construire dans son jardin une maquette au 1/8eme du Majesty of the Seas, un des paquebots de la compagnie Royal Carribean, avec la ferme intention de le faire naviguer sur les canaux de France et d’Allemagne. En le voyant sur son chantier, devant la demi-carcasse de son bateau, en train de manipuler des matériaux de récupération ou de commenter fièrement ses plans (fabuleux moment sur l’ascenseur panoramique qu’il prévoit d’installer), on ne peut s’empêcher de sourire. Encore un doux et sympathique illuminé, se dit-on.

Sauf que François Zanella a la foi du charbonnier, des tonnes d’ingéniosité, la passion contagieuse et un pouvoir de conviction étonnant: il mobilise ses voisins ; il se fait des copains aux Chantiers de l’Atlantique qui le fournissent en pièces déclassées et viennent lui filer un coup de main pour réaliser des soudures un peu compliquées. Peu à peu, c’est toute la région de Morsbach, fière de son Don Quichotte des mers, qui se mobilise. Des journées portes ouvertes sont organisées qui permettent de financer le projet grâce aux dons de milliers de personnes. Un problème surgit ? Aussitôt, comme par magie, une bonne volonté se présente avec une solution. Et lorsque, 11 ans plus tard, le navire est enfin terminé, même son convoyage pour le sortir du jardin et le mettre en eau, semble aussi facile que mettre une lettre à la poste : une entreprise allemande prête un gigantesque camion et un ingénieur pour réaliser l’opération, et la gendarmerie escorte le convoi vraiment exceptionnel. Ah, qu’il était beau François Zanella lorsque, juché sur son bateau, il traversait sous les acclamations les villages de Lorraine pour aller au canal!

Autant que le récit de l’aventure extraordinaire d’un homme, ce reportage est aussi une subtile plongée dans la Lorraine des années 1990 et, en filigrane, c’est toute une culture ouvrière, que la crise a aujourd'hui déchirée, qui resurgit. Si François Zanella est si ingénieux c’est, en partie, grâce à tout à ce qu'il a appris à la mine; s’il parvient à s’adjoindre tant de collaborations bénévoles, c’est parce que toute une région se reconnaît dans les valeurs qu’il incarne : le goût de l’effort et de l’opiniâtreté, la solidarité dans et par le travail, l’humilité de ceux qui font avec leurs mains.
Un des moments forts du reportage est d’ailleurs celui où la famille Zanella est invitée par la Royal Carribean sur le vrai paquebot. Visiblement, tout ce luxe ne plaît pas trop à la famille Zanella qui ne se sent pas à sa place (et, quasi-métaphoriquement, a le mal de mer)
Son monde à Monsieur Zanella, c’est de naviguer avec ses petits-enfants et quelques bons copains sur les canaux qui longent les usines du Nord de l’Europe, autour d’un barbecue et de quelques bières. Et comme on l’aime alors.

Ainsi va la télé avec ses ombres et ses lumières. En ce moment, le côté sombre, c’est le dérisoire mercato cathodique et le bal des transferts des animateurs et des journalistes auquel les chaînes se livrent. Côté éblouissement, il y a parfois de petits bijoux comme ce reportage au long cours (11 années !) construit avec finesse et pudeur par Philippe Espinasse. Et on se dit alors que les images de la petite lucarne valent bien les milliers de pages qu’on a pu écrire sur le sens de la vie. Vive la télé !

Le site (quasi-) officiel de François Zanella avec toutes ses astuces (and an English version of the story)
Lire quelques réactions à l'émission sur le forum de Thalassa.
Un roman d'Aurélie Filipetti, Les derniers jours de la classe ouvrière, Stock, 2003. Et une interview de la même dans L'Humanité du 4 décembre 2003 sous le titre Les Mineurs de fer, ces héros.
La photothèque des Charbonnages de France: la solidarité, le courage des mineurs

Photos: France 3

samedi 20 mai 2006

15 raisons d'aimer le XV



Aujourd'hui, finale de la Coupe d'Europe de rugby (Biarritz Olympique vs Munster).


Le rugby n'est pas votre tasse de thé? Voici 15 raisons d'aimer le XV.



  1. parce que la ligne droite n'est pas toujours le plus court chemin d'un point à un autre;
  2. pour la beauté de l'engagement d'une mêlée fumante en hiver;
  3. plus qu’un sport de combat, le rugby est un sport de débat où l’on n’en finit jamais de discuter (des tactiques, des décisions de l’arbitre, des plus belles phases de jeu de l’histoire du rugby, de l’esprit des Nations, du sens de la vie et du sens du vent);
  4. c'est un sport qui, officiellement, a trois mi-temps;
  5. parce que les avants sont aussi des défenseurs et les arrières des attaquants;
  6. pour la course folle du trois-quart aile à quelques centimètres de la ligne de touche comme au bord du précipice;
  7. pour la variété des passes à la main (croisée, sautée, redoublée, chistera) et toutes les tactiques qu’elles autorisent;
  8. pour les multiples façons de tirer un coup de pied (pénalité, dégagement, à suivre, croisé, chandelle, lobé, drop, recentrage, football) car le rugby se joue autant au pied qu’à la main;
  9. pour la chorégraphie de la ligne de trois-quarts qui se déploie sur le terrain lors d’une attaque au large;
  10. pour la fraternité des spectateurs mélangés dans les tribunes pendant la match, et encore plus mélangés après le match;
  11. parce que même la meilleure équipe du monde peut s'écrouler et prendre 33 points en 26 minutes;
  12. parce que l’arbitre a toujours raison et toujours tort (puisque chaque règle peut être interprétée de multiples façons);
  13. pour la défense acharnée des joueurs le long de leur ligne de but refoulant les assauts de l’équipe adversaire comme la digue résistant à la mer déchaînée;
  14. parce que le rugby est un sport démocratique qui accepte tous les gabarits, les gros et les maigres, les grands et les petits, les (très) beaux et les laids, les gentils garçons et les voyous;
  15. parce qu’au rugby le ballon n’est pas bêtement rond et est, lui aussi, joueur.

Quelques liens qui valent le détour:

Pour le ronchons qui n’aiment toujours pas le rugby

Pour les tacticiens

Pour les filles: les Dieux du Stade
(ATTENTION CHAUD,CHAUD !!!).

Pour les Albigeois

Photo: Dominici va à l'essai lors de la mémorable demi-finale de la Coupe du Monde 1999 contre les All Blacks (Crédit et d'autres grands moments de l'histoire du rugby en cliquant ICI)

Addendum de juillet 2006: Le Sporting-Club Albigeois joue cette année en Top-14! Attention les gars du Stade français: ça va chauffer (RV à Jean Bouin le 30 septembre).
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jeudi 18 mai 2006

Les journalistes et leurs sources

Contraindre les journalistes à citer leurs sources lors d’enquêtes judiciaires. Tel est l’objet de la proposition de loi visant à renforcer la présomption d’innocence en matière de communication judiciaire que le député Jacques Briat (UMP, Tarn-et-Garonne) avait déposée en novembre 2003 et qu’il s’efforce de relancer actuellement à l’occasion de l’affaire Clearstream.
Cette proposition, que le député qualifie lui-même d’audacieuse dans une interview parue le 16 mai 2006 dans Le Figaro (et qui, par ailleurs, n’est pas particulièrement bien rédigée), s’inscrit dans le vieux débat sur les relations entre presse et justice.
S’agit-il d’une atteinte au droit à l’information des journalistes ?

Contrairement à une idée reçue, le secret professionnel des journalistes n’existe pas. Le secret professionnel est une obligation faite à certaines professions (magistrats, médecins, avocats policiers, notamment) de ne pas révéler les informations obtenues dans le cadre de l’exercice de leur profession. Ce qu’ont toujours revendiqué les journalistes est quelque chose de différent : le droit (et non l’obligation) de ne pas révéler leurs sources.
Ce droit leur et reconnu depuis 1993 par la loi : l’article 109 du code de procédure pénale dispose en effet que « tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine ». Ainsi, un journaliste qui a obtenu des documents relatifs à l’instruction judiciaire d’une affaire financière n’est en principe pas obligé d’indiquer auprès de qui, ou comment, il a obtenu ces documents. En principe toujours, il ne peut être non plus poursuivi pour violation du secret de l’instruction puisque celui-ci ne concerne que les parties qui concourent à la procédure (policiers, magistrats et greffiers, avocats).

Depuis le milieu des années 1990, certains juges se sont efforcés de contourner cette protection en poursuivant des journalistes pour recel de violation du secret de l’instruction ou recel de violation du secret professionnel. Le raisonnement est le suivant : lorsqu’un journaliste se trouve en possession de document soumis au secret de l’instruction (par exemple le procès-verbal d’audition d’un témoin), peu importe comment, et auprès de qui, il a obtenu ce document ; on constate simplement qu’il détient illégalement ce document. De la même façon, on peut estimer qu’il y a recel de violation du secret professionnel lorsque les journalistes détiennent des informations provenant d’une source soumise au secret professionnel. (Mais, dans ce dernier cas, la constatation du délit est normalement plus difficile puisqu’il faut en théorie prouver que le journaliste a obtenu ses informations de la part d’une source soumise au secret professionnel).

Si la Cour de cassation a validé à plusieurs reprises des condamnations de journalistes pour recel de violation du secret de l’instruction (notamment, en juin 2001, celle des auteurs de l’ouvrage Les oreilles du Président), en revanche, elle a admis dans un arrêt très remarqué (Crim, 11 juin 2002, Bull. n° 132) qu’un journaliste puisse être amené à présenter des pièces litigieuses (en l’occurrence des documents soumis au secret de l’instruction) pour assurer sa défense dans le cadre de poursuites pour faits diffamatoires. Cet arrêt est important car il met fin à la situation impossible dans laquelle se trouvaient certains journalistes et que décrit bien L.-M. Horeau, journaliste au Canard enchaîné : "Si le journaliste n'a aucun document, c'est un diffamateur ; s'il possède des documents et les produit, c'est un receleur ; s'il possède des preuves et ne les produit pas, il est condamné".

Pour aller plus loin: Communiqué du 24 octobre 2003 de Reporters sans frontières dénonçant la condamnation d'un journaliste pour recel de violation du secret de l'instruction

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vendredi 12 mai 2006

La carte postale comme vecteur politique

Si la recherche en communication politique a beaucoup étudié certains supports (la presse et l’affiche notamment), en revanche, elle en a délaissé d’autres. Les cartes postales sont de ceux-là.
Pourtant, comme le rappelle le passionnant ouvrage de Gérard Silvain et Joel Kotek, La carte postale antisémite : de l’affaire Dreyfus à la Shoah (Paris : Berg International, 2005), la carte postale est, au 19 eme siècle, un des premiers moyens de communication de masse. Peu coûteuses, souvent fabriquées à des dizaines de milliers d’exemplaires, les cartes postales atteignent grâce au réseau postal les campagnes les plus reculées et touchent toutes les catégories de la population, y compris des personnes peu alphabétisées.
Gérard Silvain et Joel Kotek rappellent que, vers le milieu des années 1880, la carte postale devient aussi politique et commence à être utilisée par les partis et mouvements politiques comme vecteur de propagande. Lors de l’affaire Dreyfus, elle est fréquemment utilisée par les antisémites et elle servira également de moyen de propagande aux nazis. Au total, sur les quelque 20 000 cartes postales relatives aux juifs que compte la collection de Gérard Silvain, un quart a un caractère antisémite.

Parce qu’elle est conçue pour plaire, aussi bien à ceux qui l’achètent qu’à ceux qui la reçoivent, la carte postale est un prodigieux révélateur des préoccupations, des mentalités ou les valeurs d’une époque. Son influence est d’autant plus intéressante à étudier qu’elle apparaît comme un objet anodin, qui porte un message principal (le texte de l’émetteur) et un message secondaire (une image ou un dessin, éventuellement accompagné d’un texte imprimé) auquel on n’accorde pas toujours une grande attention, mais qu’on voit néanmoins. De plus, cette image est affectivement connotée, en quelque sorte validée par l’émetteur (qui d’ailleurs la commentera parfois).
Aujourd’hui, la carte postale semble moins utilisée en politique, sauf parfois lors de campagnes d'information ou d’action, comme par exemple celle menée en octobre 2004 par la SACD contre le décervelage programmé en réaction à la fameuse déclaration du dirigeant de TF1 sur le temps de cerveau disponible (image ci-contre).




Si vous êtes à Bruxelles, Joël Kotek fait ce soir (12 mai) une conférence sur la carte postale antisémite à l'Espace Yitzhak Rabin.
Infos : 02/543.02.70 ou info@cclj.be

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mercredi 10 mai 2006

Journée commémorative

Ce 10 mai 2006 est la première journée commémorative du souvenir de l'escalavage et de son abolition. Mais pourquoi le 10 mai précisément?

Le choix de la date de cette journée commémorative a fait en effet l'objet d'une (petite) controverse. Chargé de proposer une date, le Comité pour la mémoire de l'esclavage (CPME), institué par la loi n° 83-550 du 30 juin 1983 relative à la commémoration de l’abolition de l’esclavage (mais véritalement actif depuis janvier 2004 seulement), avait consulté diverses personnalités politiques d'Outre-Mer et associations ultramarines ( joli terme!). Ont ainsi été proposés:
- le 4 février (premier décret d’abolition de l’esclavage en 1794);
-l e 27 avril (décret d’abolition de l’esclavage en 1848);
- le 23 août (jour marquant le début de l’insurrection de Saint-Domingue et jour de commémoration internationale annuelle de la mémoire de la traite négrière et de l’esclavage décrétée par l’ONU et l’Unesco) ;
- le 23 mai, en rappel de la date d’une manifestation en 1998 à Paris rassemblant des dizaines de milliers d’Antillais, de Guyanais, de Réunionnais et d’Africains ;

Ce fut finalement le 10 mai, date de l'adoption finale par le Sénat de la loi du 21 mai 2001 reconnaissant la traite et l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, la date du vote étant préférée à celle de la promulgation de la loi "pour souligner l’importance du geste : ce sont les représentants du peuple qui, par leur vote, font les lois de la République", dixit le CPME.
(Pour un petit historique des discussions voir ICI sur le site du CPME).

Du coup, certaines organisations ont décidé que la commémoration du 10 mai se ferait sans elles, comme celles regroupées dans le Comité Marche du 23 mai 1998 (CM98). Les Indigènes de la République, après avoir proposé le 29 août, en souvenir du jour de 1793 où les esclaves révoltés d’Haïti obtinrent du commissaire de la Convention Sonthonax qu’il signe le premier décret abolissant l’esclavage sur un territoire français, ont finalement préféré défiler le 8 mai en mémoire de la répression sanglante d'une manifestation du Parti Populaire Algérien à Sétif le 8 mai 1945.

Une commémoration est un acte de communication pas tout à fait comme les autres, par lequel on transmet symboliquement un message politique: l'importance et la signification que l'ensemble d'une communauté donne à un événement et, au delà, les normes auxquelles cette communauté est attachée. Toute commémoration est donc une lecture particulière de l'histoire. Et en cela, il est assez logique que le choix de la date de cette commémoration fasse l'objet de discussions.
Mais une commémoration est aussi la célébration solennelle des valeurs que nous partageons. Et c'est sans doute ce qui compte aujourd'hui.


Un autre billet sur un sujet connexe: Les usages sociaux de l'histoire

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samedi 6 mai 2006

OGM, consultation du public et internet

Peut-on organiser une véritable consultation du public par l'internet?

A cette question, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand vient de répondre par la négative en annulant les arrêtés par lequel le Ministre de l'agriculture avait autorisé la société Meristem Therapeutics à expérimenter des OGM à usage médicamenteux dans le Puy-de-Dôme.

En 2005, plusieurs associations de défense de l'environnement (le CRII-GEN, Champs libres, France Nature Environnement, les Verts, la Confédération paysanne) avaient déposé un recours demandant l'annulation des essais de cultures de maïs transgénique menés par la société Meristem Therapeutics. Celle-ci avait cultivé en 2005 dans le Puy-de-Dôme vingt hectares de maïs OGM, destiné à produire de la lipase gastrique pour tenter de soulager les personnes atteintes de mucoviscidose.

Le tribunal administratif, qui avait rejeté le 23 juin 2005 les requêtes en référé déposées par ces associations, examinait jeudi 4 mai le dossier sur le fond. Sa décision d'annulation repose essentiellement sur deux éléments:

  • le défaut d'information du public, en raison de la localisation imprécise des parcelles d'essais tant dans les dossiers examinés par la Commission du Génie Biomoléculaire, que dans les fiches d'information au public affichées en mairie des communes recevant les essais (ces fiches d'information étant par ailleurs communiquées au public postérieurement aux autorisations d'essais);
  • la mise en place d'une consultation publique par le seul intermédiaire du réseau internet auquel tous les individus intéressés n'ont pas aisément accès.
Plus généralement, le tribunal estime que la procédure d’information et de consultation mise en place ne respecte pas les objectifs fixés par la directive européenne 2001-18 (relative à la dissémination d’OGM et qui rend obligatoire la consultation du public) ainsi que l’article 6 de la convention d'Aarhus qui concerne l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement et qui a été approuvée par l’UE le 17 février 2005).

(Pour mémoire, voici d'après le site interministériel sur les OGM, le bilan de la consultation qui avait eu lieu du 4 au 8 avril 2005 sur les onze programmes de recherche OGM 2005.
2451 courriers électroniques ont été reçus, se répartissant ainsi :
- favorables: 101
- demande de maintien des essais en confiné 49
- défavorables aux OGM pour des raisons précises : 45
- défavorables aux OGM d'une manière générale : 400
- défavorables aux OGM par l'envoi d'un texte de pétition : 1652
- ni pour, ni contre, questions : 34
Autant dire que cette consultation n'avait pas passionné les foules, et surtout concerné des militants anti-OGM.)

Quelques sites à visiter :

  • Le site interministériel sur les OGM, et notamment la section consacrée à la consultation du public
  • Inf’OGM veille citoyenne sur les OGM
  • Détectives OGM (Greenpeace)
  • Un article d'avril 2005 consacré à la consultation sur les essais OGM sur le site Grainvert


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    jeudi 4 mai 2006

    How to stop the war in 10 steps

    Depuis quelques semaines, les Etats-Unis sont le théâtre de manifestations de grande ampleur, contre le projet de nouvelle législation sur l’immigration, ou contre la guerre en Irak.

    A la suite de la Manifestation pour la paix, la justice et la démocratie de New-York le 29 avril 2006 (qui a réuni 300 000 personnes selon les organisateurs, beaucoup moins selon la police), le Village Voice du 2 mai s’interroge : comment faire pour que l’opposition croissante à la guerre d’Irak se traduise en un changement effectif de la politique du gouvernement. Et propose à cet effet dix techniques, certes pas toujours faciles à mettre en œuvre, à partir des conseils prodigués par des consultants en communication politique ou des lobbyistes.

    1. Adopter un message simple, et ne pas mêler le message contre la guerre en Irak à la critique d’autres politiques gouvernementales.
    2. Couper les cordons de la bourse en faisant pression sur les parlementaires siégeant à la Commission des finances qui autorisent le financement des opérations militaires.
    3. Relier le message anti-guerre aux intérêts de ceux qu'on cherche à convaincre, par exemple en expliquant à ceux qui ne pensent pas la guerre en termes de morale pourquoi elle va les toucher personnellement.
    4. Viser la bonne cible. Puisque plus d’Américains sont hostiles à Bush qu’au retrait de l’armée US d’Irak, il faut utiliser la répulsion croissante à l ’égard de Bush pour tuer la guerre plutôt que d’utiliser l’argument de la guerre pour affaiblir Bush.
    5. Effrayer les sortants, en essayant de faire perdre quelques candidats en faveur de la guerre lors des prochaines élections de novembre.
    6. Analyser finement les rapports de force locaux dans les circonscriptions électorales afin de faire porter les efforts sur les électeurs les plus susceptibles de vous soutenir en utilisant les moyens appropriés à la situation locale.
    7. Mobiliser les compétences les plus utiles au mouvement anti-guerre en identifiant parmi les participants aux manifestations ceux qui ont un savoir faire, ou du temps ou ceux qui sont le plus motivés.
    8. Utiliser le registre émotionnel. La guerre et les résultats sondages restent des données abstraites tant qu’on ne touche pas les gens au ventre (hit people in the gut).
    9. Soutenir les militaires ou vétérans hostiles à la guerre. Ceux-ci ont joué un rôle important dans le mouvement contre la guerre de Vietnam et pourraient à nouveau faire pencher l'opinion.
    10. Ne pas utiliser les services d’un lobbyiste professionnel. Ce sont les gens dans les rues qui obligent le système à changer (et de toute façon, indique le Village Voice, les firmes spécialisées en lobbying ne veulent pas des anti-guerre comme clients et préfèrent défendre les intérêts des grandes entreprises).

    Cet article pourrait ressembler à un inventaire à la Prévert. Mais il reflète bien, il me semble, les différences de conception de l’action politique aux Etats-Unis et en Europe. Outre-Atlantique une manifestation tend inévitablement à être pensée en termes de management, comme quelque chose qu’ont doit organiser efficacement en mettant en œuvre des techniques éprouvées. Chez nous, elle serait plutôt vue comme une figure allégorique du peuple en marche.

    Le site de la manifestation du 29 avril 26 à NYC

    Des photos de la manifestation du 29 avril sur le blog My DD Direct Democracy

    Photo: CNN

    mercredi 3 mai 2006

    Ségolène et la démocratie participative

    La démocratie ne peut se réduire à l'expression et à l'échange d'opinions, mais exige un processus de délibération.
    C'est ce que rappelle Jean-Luc Charlot dans ce très bon article Les confusions de la participation médiologique paru dans l'Humanité du 29 avril 2006, dans lequel il commente notamment le site de Ségolène Royal.
    Mais inventer de nouvelles procédures de délibération n'est pas une tâche aisée, surtout si l 'on veut impliquer tous les citoyens (et pas seulement ceux qui ont du temps et/ou beaucoup de capital culturel). C'est sur cela, à mon sens, que les efforts des activistes de l'internet citoyen devraient porter en priorité. L'internet peut sans doute permettre "d'outiller" la délibération. Reste à mettre au point les applications nécessaires à cette fin.

    Extraits:
    "Une méthode qui consiste à collecter des opinions, comme au travers de ce qui est réalisé dans le site desirsdavenir.com, ne peut pas véritablement rendre pensable un nouvel espace politique de nouveau cohérent avec les réalités et l’état de maturité politique des citoyens. A contrario, cette approche ne fait qu’approfondir la confusion, si souvent proposée en matière de participation des citoyens, entre outil de communication simulant l’horizontalité entre tous et de véritables espaces publics de délibération".

    "Cette confusion entre « expression d’opinions » (comme les sondages du même nom) et « processus de délibération », aussi astucieusement entretenue soit-elle, ne peut durablement dissimuler la nécessité de l’effort qu’il reste à produire afin de penser, puis mettre en oeuvre réellement des méthodes de coopération avec les citoyens qui seront susceptibles d’améliorer l’efficacité des politiques et de l’action publique".

    Jean-Luc Charlot est l'auteur de Le pari de la participation. Approximation d'une activité politique. Paris: l'Harmattan, 2006.

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    lundi 1 mai 2006

    La nouvelle communication syndicale

    En cette journée de fête du travail, qui commémore l’action entreprise le 1er mai 1886 par des ouvriers américains pour la journée de 8 heures, un regard sur les nouvelles formes de la communication syndicale à partir du cas de Wal-Mart aux Etats-Unis.

    Avec un chiffre d’affaires de 312 milliards de dollars en 2005, la chaîne de super-marchés Wal-Mart est une des plus grandes entreprises américaines et le premier distributeur mondial avec plus de 3800 points de vente aux Etats-Unis et 2600 dans le reste du monde. Connue pour ses bas prix, elle est régulièrement critiquée pour sa politique de bas salaires et l’insuffisance de la couverture sociale qu’elle offre à ses 1,8 millions d’employés. Elle s’est constamment opposée à l’implantation de syndicats au sein de ses établissements.

    Incapables de mener leur action selon le schéma traditionnel, deux confédérations syndicales, la Service Employees International Union (SEIU) et l’United Food and Commercial Workers International Union (UFCW) ont décidé depuis un peu plus d’un an de mettre en œuvre une nouvelle stratégie de communication dans laquelle l’internet joue un rôle important.

    En avril 2005, l’ UFCW a créé WakeUpWalMart.com et engagé une campagne de communication dirigée par Paul Blank, qui fut directeur politique de la campagne d’Howard Dean en 2004. Le site comprend non seulement des informations sur Wal-Mart (notes d’information et argumentaires, revue de presse, rapports et enquêtes, témoignages d’anciens employés), mais aussi de nombreux outils et conseils pour mener ce que les anglo-saxons appellent une grass-roots campaign : il encourage les Américains à rejoindre un groupe local et propose un large répertoire d’actions à mener aussi bien auprès de la population, que des médias ou des élus (rubrique Take action). Cette action, qui réplique la stratégie de mobilisation mise en place par Howard Dean en 2004 en utilisant Meet-up, s’accompagne d’une campagne publicitaire sur les écrans de télévision (dont on trouvera les principaux spots ICI) . Actuellement, plus de 226 000 américains auraient apporté leur soutien.

    La campagne de la SEIU s’appuie elle sur le site Wal-Mart Watch. Disposant d’un budget d’un million de dollars, elle est animée par une équipe de 36 personnes et fait appel à des consultants politiques comme le Démocrate Jim Jordan, campaign manager de John Kerry en 2004, mais aussi le Républicain Terry Holt, un des porte-parole de la campagne de Bush-Cheney en 2004. Ce dernier justifie son engagement ainsi: “Wal-Mart is giving capitalism a bad name. It’s lost touch with its small-town roots and has become a company that is depending on corporate welfare ... and an all-too-cozy relationship with China. (Source: Associated Press, 23 avril 2006).

    Le site apparaît plus sobre, mais peut-être plus offensif que celui de l’UFCW et présente l’action contre Wal-Mart comme une bataille (the Battle-Mart), avec un plan d’attaque, des sites-cible, une liste des victoires enregistrées et un florilège des meilleures tactiques à partir d’exemples réels.

    L’offensive syndicale est toutefois affaiblie par la concurrence entre les deux campagnes menées en parallèle, qui reflète davantage une rivalité organisationnelle (l’UFCW appartient à l’AFL-CIO et la SEIU à une confédération rivale) qu’un véritable désaccord de fond. Bien que leurs objectifs et leurs méthodes apparaissent très similaires, les deux organisations ont parfois davantage tendance à se critiquer mutuellement qu’à combattre Wal-Mart.

    Pour contrer cette nouvelle forme d’action syndicale, Wal-Mart emploie les grands moyens. Elle a créé une War Room, sur le modèle de celle de Clinton pour sa campagne électorale de 1992, pour coordonner sa communication. Elle a fait appel à plusieurs conseillers en communication parmi lesquels les Républicains Michael Deaver et Terry Neslon (directeur politique de la campagne Bush-Cheney en 2004) mais aussi le campaign strategist Démocrate Leslie Dach. A côté du site officiel, Wal-Mart Facts, conçu pour rétablir la vérité sur Wal-Mart et mobiliser les employés de la firme, Wal-Mart a également suscité la création d’une organisation Working Families for Wal-Mart (présidée par Andrew Young, figure démocrate bien connue de la communauté black et ancien maire d’Atlanta et ambassadeur américain à l’ONU), qui a mis en place un site web recherchant, à l’instar des sites syndicaux, le soutien de la population.

    Connue pour ses relations difficiles avec la presse, elle a organisé pour la deuxième fois en un an, une media conference les 18 et 19 avril pour présenter ses activités et dire aux journalistes qu’elle les aimait.
    Suivant l’exemple d’autres compagnies comme General Electric, Wal-Mart a également intégré ls blogs dans sa stratégie de communication, comme le rapporte cet article du New-York Times du 7 mars 2006 : certains blogueurs reçoivent des informations ou documents inédits, des suggestions de thèmes ou des arguments, ou encore des invitations à visiter le siège de l’entreprise. Et ça marche, puisque divers blogueurs ont été vivement critiqués par leurs collègues pour avoir reproduire les arguments de Wal-mart sans citer leur origine.

    La communication de Wal-Mart repose enfin sur ses ressources financières. Le 22 mars 2006, elle a fait un don de 1 million de dollars à la Martin Luther King Jr. National Memorial Project Foundation. A l’approche des mid-term elections de 2006, elle multiplie les contributions aux candidats de tous bords. Manque de chance, Hillary Clinton, qui avait pourtant fait partie de son conseil d’administration, a refusé le chèque de 5000 dollars que Wal-Mart lui avait envoyé en vue de sa réélection en indiquant qu’elle avait désormais de « serious differences with current company practices ».

    Trois enseignements du cas Wal-mart

    Le cas Wal-Mart est intéressant car il fait apparaître trois tendances actuelles de la communication politique aux Etats-Unis:

    • la professionnalisation de la communication syndicale, qui s’accompagne du recours à des conseillers en communication choisis davantage pour leur savoir-faire et leur expertise techniques que leurs orientations politiques ;
    • la confusion croissante entre les registres de la politique et de la consommation qui transparaît également dans l’émergence d’un consumérisme politique (consommateurs choisissant les enseignes dont ils sont clients en fonction des politiques – sociale, environnementale, droits de la personne, etc. - de ces enseignes) ;
    • la montée du lobbying astroturf, (terme inventé par opposition à grassroot, l'astroturf étant de la pelouse synthétique) qui caractérise les actions menées par de grandes entreprises en vue d’influencer les politiques publiques et se présentant sous la forme (souvent artificielle et trompeuse) d’une mobilisation du public.

    Pour aller plus loin sur le lobbying Astroturf:
    Lyon T. P. et Maxwell J. W. (2004). "Astroturf: Interest Group Lobbying and Corporate Strategy". Journal of Economics & Management Strategy. Vol. 13, n° 4, Winter, pp. 561-597.

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