vendredi 29 septembre 2006

Le monde devenu simple: outils et techniques de visualisation

Comment traiter rapidement de grandes quantités d'information pour repérer celles qui nous intéressent ou pour comprendre une situation compliquée? C'est l'un des problèmes auquel nous sommes confrontés quotidiennement en utilisant l'internet. Pour le résoudre, une solution consiste à utiliser des techniques ou outils de visualisation.

De tous temps, les hommes ont utilisé des images (dessins, schémas, graphiques, etc.) pour réduire la complexité du monde. Et, d'ailleurs, ne dit-on pas qu'une qu'une image vaut souvent des millions de mots.
Aujourd'hui, la puissance des outils informatiques permet d'intéressantes avancées pour améliorer les techniques de visualisation: combinaison d'images et de sons, visuels dynamiques pouvant offrir différentes perspectives ou niveaux de lecture d'un objet, procédés interactifs ajustant le visuel aux requêtes de l'utilisateur, etc.

On trouve sur l'internet d'intéressantes illustrations de ces efforts. En voici quatre parmi d'autres:

La newsmap
Elle permet de visualiser rapidement les flux de nouvelles collectés par Google news. Les couleurs représentent les catégories d'information (international, écnomie, sports, etc.) ainsi que la fraîcheur des nouvelles. Chaque sujet est identifié par le titre de l'article le plus récent, et plus ce titre est gros, plus il y a d'articles se rapportant à ce sujet.


Newsmap


Mapped up (anciennement What's up) permet également de visualiser des flux RSS de nouvelles, mais avec une technique un peu différente. Les flux sont identifiés par des points sur une carte du monde (rouges, si l'information vient d'être actualisée, jaune dans le cas contraire). En déplaçant la souris sur un point, on obtient une cartouche avec le nom de la source et le titre de la nouvelle. De plus, des bulles apparaissent automatiquement pour signaler les nouvelles venant d'être publiées.


Mapped up


Music Plasma est un petit moteur de recherche qui permet de visualiser des artistes ou groupes de musique se rapprochant par leur style. Dans la capture d'écran ci-dessous, j'ai par exemple entré James Brown et on peut voir (ou plutôt deviner) des artistes se situant dans la même veine musicale. Les couleurs indiquent leur plus ou moins grande procimité et la taille du cercle indique la popularité de chaque musicien. A droite, une cartouche avec une petite discographie. Le système fonctionne aussi pour les films (mais c'est moins réussi).


Music plasma


Folksongs for the Five Points est un magnifique exemple de la façon dont on peut combiner, textes, sons et images, le tout de manière interactive.
Vous avez sous les yeux une carte du Lower Esat Side à New-York, sur laquelle figurent des points. Chaque point correspond à un enregistrement sonore (vert: musique; orange: bruits de la rue; jaune: paroles d'habitants - une petite fiche explicative à droite vous en dit plus sur l'origine du son).
Là où ça devient magique, c'est que vous pouvez mélanger cinq sources sonores de votre choix (en cliquant et déplaçant avec la souris les petits cercles blancs) et règler le volume de chacune pour créer un mix original (que vous pouvez même sauvegarder).


Folksongs in NYC


Si vous connaissez d'autres outils de visualisation épatants ou ingénieux, faites-moi signe.

jeudi 28 septembre 2006

Le pouvoir et la vie

A l’occasion de la sortie du tome 3 de Le Pouvoir et la Vie (Cie12 éd.), dans lequel il livre ses souvenirs et réflexions sur l’exercice du pouvoir, Valéry Giscard d’Estaing donne de nombreux interviews dans les médias.

L’une m’a plus particulièrement intéressé – celle avec PPDA lors du 20h de TF1 du 27 septembre (consultable en intégralité pendant une quizaine de jours sur le site Vidéos de TF1 – rubrique Infos) car VGE y revient sur sa fameuse scène des adieux dont j’ai déjà parlé à la fin d’un précédent billet.


Extrait :

PPDA : Avec le recul, vous n’avez pas conscience finalement que c’était trop affecté, en tout cas plus affecté que solennel, à la limite du ridicule même ? (…)

VGE : (…) Il y avait des gens auxquels je voulais dire au revoir, que je voulais remercier. Alors, j’ai imaginé ce petit scénario qui était assez simple, qui consistait à leur dire un texte (…) puis à la fin, me lever et partir.(…) J’ai dit au caméraman: vous attendrez que je sois debout, vous me suivrez, puis j’ouvrirai la porte, et quand j’aurai fermé la porte, vous arrêterez. Mais la distance était assez longue (…) J’étais assis à 6 mètres de la porte. Le temps que j’y aille, c’était un peu long.

PPDA : Cela faisait un peu pompeux…

VGE : … cela faisait un peu pompeux. Et fermer la porte, de dos tourné, c’était à la fois un peu difficile à sentir pour certains, et un peu théâtral pour d’autres. Si c’était à refaire, je referai le même discours, mais pas le même geste.


Pour le plaisir, un extrait d’une autre interview de VGE, ce matin 28 septembre avec Jean-Pierre Elkabach sur Europe1.
VGE raconte cet épisode où, entre les deux tours de la présidentielle de 1981, il appelle lui-même en masquant sa voix ( !) la permanence de Chirac.

VGE : Quand on est au pouvoir, on ne sait rien. Vous lisez les journaux, vous écoutez les émissions (de radio). Je me disais : qu’est-ce qu’on dit aux gens, qu’est-ce qu’on leur dit de faire. Je voudrais le savoir moi même. Je demande à ma secrétaire de trouver le numéro de téléphone de la permanence [de Chirac]. (…)
J’ai appelé. Et j’ai dit : alors voilà, je suis un militant, alors qu’est-ce qu’il faut faire ? On m’a dit : il faut pas voter Giscard. Alors, j’ai pris l’air bête (…) et j’ai dit : bon alors, il ne faut pas voter Giscard, il faut s’abstenir ou ne pas aller voter ?
Mais non, vous n'avez rien compris. Il faut voter Mitterrand.

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mardi 26 septembre 2006

De Budapest à Valmy: vivent les drapeaux

Budapest, samedi 23 septembre : sur la place Kossuth devant le parlement hongrois, quelques milliers de manifestants se sont réunis pour la 7eme fois afin de réclamer la démission du Premier ministre socialiste, Ferenc Gyurcsany.

Ferenc Gyurcsany est une nouvelle victime de ces micros cachés ou oubliés dont je parlais dans un précédent billet, mais aussi et d’abord de ses mensonges. Il y a quelques mois, lors d’une réunion des députés de son parti, il leur avait tout bonnement déclaré (en substance) : que son gouvernement mentait depuis 18 mois sur la situation économique afin de gagner les élections, n’avait rien fait dont il puisse être fier depuis 4 ans, bref avait « merdé, pas un peu, mais beaucoup ». Manque de chance pour le Premier ministre : la déclaration à huis-clos avait été enregistrée et a été diffusé par la radio publique le 17 septembre, provoquant aussitôt la colère et l’agitation d’une partie de la population.

Vous trouverez des extraits des propos de Ferenc Gyurcsany :
ICI en français (Nouvel.obs.com)
LA avec une traduction un peu différente en anglais (BBC.news)
ET PLUS ETONNANT LA en hongrois (sur le blog perso du Premier ministre !).

Ce samedi, la foule est paisible, plutôt bon-enfant et écoute sagement les orateurs qui se succèdent au micro. Rien à voir avec les scènes d’émeute qui avaient eu lieu en début de semaine et que la chaîne de télévision de droite HIR rediffuse en boucle chaque soir.
Etant à Budapest pour un colloque, j’en profite pour faire un peu d’observation participante et prendre quelques photos.



1 à 3: Les manifestants sur la place Kossuth 23/09 environ 17h - 4: Rediffusion des scènes d'émeute du 17/09 sur la chaîne HIR.

Ce qui me frappe le plus ce sont les dizaines de drapeaux que les manifestants agitent.
Pour beaucoup, il s’agit du drapeau tricolore hongrois (trois bandes vert blanc rouge) mais orné en son centre d’un blason (croix de Lorraine et 8 bandes argent et rouge surmontées d’une couronne). Apparemment, ce n’est pas le drapeau légal de la Hongrie, mais depuis 1990 il est néanmoins utilisé de facto comme emblème national par de nombreux officiels de droite. D’autres, moins nombreux mais plus nostalgiques, ont opté pour un drapeau tricolore troué en son centre comme celui que brandissaient les insurgés d’octobre 1956 (qui avaient enlevé l’étoile, la faucille et le marteau qui figuraient alors sur le drapeau de la Hongrie communiste). Quant aux extrémistes de droite, ils brandissent des drapeaux à bandes blanches et rouges en souvenir des premiers rois de Hongrie.

ICI : Un site pour en savoir plus sur les multiples drapeaux en usage en Hongrie


Vivent les drapeaux

Aujourd’hui, à Budapest comme à Valmy (photo du MJS manifestant contre Le Pen le 20/09/2006), plus de manifestation sans drapeaux. La pérennité de cette forme de communication politique peut paraître étonnante à l'époque des médias électroniques. Mais ces petits objets anodins que sont les drapeaux ont bien des mérites et la faculté de produire de nombreux effets avec une grande économie de moyens.

Ils condensent en un signe simple, et souvent facile à reproduire, des significations complexes (les mythes fondateurs d’un pays, son histoire, ses valeurs, etc.).

Ils sont des signes de ralliement qui servent à distinguer alliés et adversaires (tout comme autrefois ils servaient à distinguer amis et ennemis dans le tumulte de la bataille).

Ils fonctionnent sur un mode émotionnel - nul besoin de comprendre ce que symbolise précisément un drapeau : on se reconnaît (ou ne se reconnaît pas) en lui, tout simplement - et suscitent de multiples sentiments (d’appartenance à un groupe, d’identité, de puissance) propices à l’action collective.

Ils participent d’une politique des corps (le corps comme moyen de l’action politique) : ils magnifient les mouvements de la foule, lui donnent aux sens propre et figuré une couleur particulière, transmettent et amplifient ses frémissements et ses enthousiasmes.

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lundi 25 septembre 2006

La République des blogs

La République des blogs se réunit!
A la suite d'une première rencontre entre des blogueurs qui parlent de politique et leurs lecteurs en juin dernier, un nouveau rendez-vous est organisé. Cela se passe ce mercredi 27 septembre au Café Pavillon Baltard (9 rue Coquillière, 75001 Paris).

Comme l'indique Versac , l'un des blogueurs à l'origine de cette initiative, sur le Wiki consacré à l'événement:

"L'objet de la "République des blogueurs" n'est pas de faire de la politique au sens traditionnel du teme, c'est à dire partisan, mais de donner aux citoyens un espace d'expression, d'échanges et d'interpellation pour faire de la politique autrement.

Il ne s'agit pas de remettre en cause les principes du suffrage universel, de la légitimté des élus acquise par eux grâce à ce même suffrage ni de constituer on ne sait quel groupe de pression. Il s'agit pour les citoyens de se réapproprier une part de cette action politique que ce soit au niveau local ou au niveau national.

Cela doit se faire par l'échange, dans le respect scrupuleux de chacun. Cela doit se faire dans la transparence, les arrières pensées partisanes étant bannies du processus. Cela doit se faire avec qualité grace à l'éclairage que des experts pourront apporter aux réflexions de la République des blogueurs. Et surtout, cela doit se faire dans la joie".


Pour en savoir plus et s'inscrire: cliquer ICI

Une cinquantaine de blogueurs, simples particuliers et quelques responsables politiques, se sont déjà inscrits.

vendredi 22 septembre 2006

Le président au cinéma

Alors que sort en salle le film Président de Lionel Delplanque (photo ci-contre extraite de la promotion), beaucoup de critiques remarquent que très peu de films de fiction français ont été consacrés à la fonction présidentielle (et plus généralement à notre système politique), alors que ce type de films est très courant aux Etats-Unis.

C’est bien dommage car, ainsi que les travaux de l’historien Marc Ferro l’ont magnifiquement illustré, le cinéma peut être un prodigieux instrument de compréhension directe (par le regard documentaire que les films offrent) ou indirecte (par les représentations et valeurs que les films diffusent) de l’histoire politique de nos sociétés.

Parmi les quelques films français consacrés à la fonction présidentielle, on cite le plus souvent:

- Le Président d’Henri Verneuil (1960 ou 1961 selon les sources) où Jean Gabin campe un président plutôt inspiré de Georges Clemenceau que de Gaulle;
- Le bon plaisir de François Girod (1984), d’après le « roman » de Françoise Giroud, qui raconte l’histoire d’un président (Jean-Louis Trintigant) découvrant l’existence d’un fils naturel, fruit d’une ancienne liaison amoureuse clandestine;
- Le Promeneur du Champ de Mars de Robert Guédiguian, adaptation des Mémoires interrompues de Georges-Marc Benamou, dans lequel l’excellent Michel Bouquet incarne François Mitterrand conversant, à la fin de ses jours, avec un jeune journaliste sur le sens de la vie.

Aux Etats-Unis, plusieurs dizaines de films, relevant de multiples genres (historique, documentaire, biographies romancées, comédies, films d’action) ont fait du président américain ou de la fonction présidentielle leur objet principal. On en trouvera ICI un inventaire assez complet de 1908 à nos jours.

Parmi ces films, on peut notamment citer :
- Birth of a Nation (1915) de D.W. Griffith
- Dr Strangelove (1964) de Stanley Kubrick (la première comédie nucléaire)
- The American Président (1995) de Rob Reiner (les coulisses de la Maison blanche)
- Air Force One (1997) de Wolfang Peterson (le Président combat des terroristes)
- Primary Colors (1998) de Mike Nichols (inspiré de la campagne électorale de Bill Clinton).

Comment expliquer cette différence d’intérêt en France et aux Etats-Unis ? Notre système semi-présidentiel, avec toutes ses originalités institutionnelles, aurait-il un potentiel cinématographique moins grand que le système présidentiel américain ? L’histoire de la Veme République et la personnalité de nos présidents successifs constituent pourtant une matière d’une grande richesse dramatique propre à nourrir l’inspiration de réalisateurs.

Voici quelques hypothèses explicatives :

- L’industrie hollywoodienne connaît bien tout le profit qu’elle peut tirer de la représentation de la fonction présidentielle du fait des relations intimes qu’elle entretient avec les Présidents américains. En effet, les majors d’Hollywood figurent traditionnellement parmi les plus gros contributeurs des candidats à la présidence – et en retour l’administration a toujours défendu les intérêts de l’industrie cinématographique américaine dans le reste du monde.

- En France, le mécanismes de financement des films français, qui reposent en partie sur des aides publiques, dissuaderaient implicitement les réalisateurs de s’intéresser de trop près aux rouages l’Etat. En outre, la représentation du chef de l’Etat serait considérée comme un domaine protégé (dans l’esprit de la loi de 1881 sur la liberté de la presse qui punit l’offense par tout moyen, écrit ou de communication audiovisuelle, au Président de la république).

- La culture française considère les films comme des créations artistiques, portant la vision ou l’univers de leur auteur, et répugne à considérer le cinéma de fiction comme un outil documentaire.

Si vous avez d’autres explications, n’hésitez pas : utilisez la fonction commentaire.

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dimanche 17 septembre 2006

Firefox: c'est vraiment mieux/ It's much better

Si vous utilisez Internet Explorer pour lire ce blog, il se peut que des codes bizarres apparaissent dans les billets. (On m'a également signalé que les liens en colonne droite s'affichaient mal).

Ce blog est conçu avec et pour Firefox, et je ne peux que vous recommander d'utiliser ce navigateur (gratuit) qui offre des fonctionnalités très utiles et absentes d'Internet Explorer.

Aujourd'hui, 21,9% des internautes européens (et même 30% en Allemagne) utilisent Firefox et la part de marché de ce navigateur croit régulièrement.

Si vous hésitez ou n'êtes pas encore convaincu, voici 5 bonnes raisons d'adopter Firefox (et il y en a sûrement plein d'autres).

samedi 16 septembre 2006

Le pluralisme politique à la télévision (1/2): mollis lex, sed lex

Flash-back : le 14 mai 2006, François Bayrou annonce lors du JT de TF1 (photo) que l'UDF votera la motion de censure du gouvernement. Deux jours plus tard, onze des trente députés du groupe UDF à l’Assemblée nationale passent à l'acte.
Un mois plus tard, le 13 juin 2006, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), considérant que du fait de ce vote ces onze députés n’appartenaient plus à la majorité parlementaire, décide de comptabiliser leurs interventions sur les chaînes audiovisuelles dans le temps de parole de l’opposition parlementaire.Vive réaction de François Bayrou (et du PS qui, dans cette nouvelle configuration perd quelques minutes de temps d’antenne). Lors d’une conférence de presse le 14 juin, le président de l’UDF dénonce l’emprise de l’Etat UMP et la décision partisane du CSA. « De quel droit, s’indigne-t-il, une instance nommée par le pouvoir, saisie par le parti dominant s’arroge-t-elle le droit de juger de la situation d’un parti politique contre son gré ? », en rappelant que la Constitution de 1958 ne définit pas la notion de majorité ou d’opposition parlementaire.
Du coup , le CSA révise sa position et , le 20 juin, il décide de comptabiliser le temps de parole des membres de l'UDF à partsans l’imputer ni sur celui de la majorité, ni celui de l'opposition. Une méthode de calcul qui, note le CSA, « déroge aux règles traditionnelles du Conseil, mais répond à une situation inédite ».

Précisément, quelles règles le CSA applique-t-il en matière de pluralisme dans l’audiovisuel ?

De la règle des trois-tiers au principe de référence


C’est la loi de 1986 sur la liberté de communication qui charge le CSA (photo des 9 membres du Conseil) de veiller au respect du pluralisme politique dans l’audiovisuel (voir ICI la rubrique Contrôle du pluralisme politique sur le site du CSA).
Traditionnellement, deux formes de pluralisme sont distinguées : le pluralisme externe, qui vise à la diversité des opérateurs et que le CSA doit appliquer lorsqu’il autorise les chaînes de télévision privées; et le pluralisme interne, qui concerne la diversité et l’équilibre des courants d’opinion s’exprimant sur chaque chaîne de télévision (publique ou privée).
Pour garantir le pluralisme interne, le CSA appliquait jusqu’en janvier 2000 la règle dite des trois-tiers : les chaînes de télévision devaient répartir le temps d’antenne qu’elles consacraient aux interventions des personnalités politiques également entre trois groupes : les membres du gouvernement, les personnalités représentant la majorité parlementaire et les personnalités représentant l’opposition parlementaire.

En janvier 2000, le CSA a modifié légèrement la règle des trois-tiers en adoptant ce qu’il appelle le principe de référence. Celui prévoit que : « Sauf exception justifiée par l'actualité, le temps d'intervention des personnalités de l'opposition parlementaire ne peut être inférieur à la moitié du temps d'intervention cumulé des membres du gouvernement et des personnalités de la majorité parlementaire. » En outre, les chaînes doivent « assurer un temps d'intervention équitable aux personnalités appartenant à des formations politiques non représentées au Parlement ».

Ce principe, au libellé emberlificoté, est assez proche de la règle des trois-tiers à deux petites différences près :
- les temps de parole du gouvernement et de la majorité parlementaire ne sont plus dissociés (et, en théorie, une chaîne pourrait s’acquitter de ses obligations de pluralisme en consacrant 19 minutes au gouvernement, 1 minutes à la majorité parlementaire et 10 minutes à l’opposition parlementaire) ;
- une représentation à l’antenne des partis non représentés au Parlement est prévue sans que ses modalités quantitatives ne soient toutefois précisées (cf. plus loin).

On notera que le principe de référence ne s’applique qu’en dehors des périodes électorales.

[Lors des campagnes électorales, le CSA applique d’autres règles
.
Ainsi, pour l’élection présidentielle, le CSA distingue une période de pré-campagne (qui commencera vraisemblablement le 1er janvier 2007) durant laquelle les médias audiovisuels, public ou privés, doivent couvrir les interventions des candidats de façon équitable. Ce dernier terme mériterait une définition plus précise, mais dans la pratique il signifie que le temps d’antenne consacré à un candidat doit être grosso modo proportionnel à son importance politique. Mais comment mesurer-ton cette importance ? Principalement grâce aux sondages sur les intentions de vote ou de popularité, qui eux-mêmes reflètent en partie la couverture médiatique dont bénéficient les candidats… On tombe dans le cercle vicieux que François Bayrou a récemment dénoncé (et sur lequel je reviendrai plus longuement dans un autre billet).
Puis, lorsque commence la campagne officielle, 2 semaines avant le 1er tour, c’est un régime d’égalité qui est appliqué : chacun des candidats (et il n’y a plus alors que des vrais candidats) doit bénéficier du même temps d’intervention sur les chaînes de télévision. Cette règle égalitaire, simple et claire, soulève néanmoins des difficultés d’application lorsque, comme en 2002, il y a beaucoup de candidats et lorsque certains de ceux-ci n’ont qu’une activité de campagne réduite.]


Les problèmes du principe de référence

Le dispositif découlant du principe de référence pose trois problèmes principaux.

1) Les interventions du président de la République ne sont pas comptabilisées. Cette pratique, validée par le Conseil d’Etat, est justifiée (voir ICI le site du CSA) par « la place qui, conformément à la tradition républicaine, est celle du chef de l'État dans l'organisation constitutionnelle des pouvoirs publics », celui-ci ne s'exprimant pas au nom d'un parti mais au nom de la Nation. Cela ne fait pas de doute lorsque le Président intervient à la télévision lors d’une crise internationale (comme celle du Liban). C’est moins évident lorsqu’à l’approche d’un scrutin, le Président dit aux Français quel est le bon choix.

2) Une évaluation quantitative du respect du pluralisme politique est-elle suffisante ? Une interview de trois minutes dans le JT de 20 h et une intervention de même durée dans un débat de seconde partie de soirée ne sont pas équivalents. Le CSA en est bien conscient : il comptabilise distinctement les temps de parole politique, dans les JT, les magazines d’information, et les autres émissions ; il a indiqué à plusieurs reprises dans ses rapports annuels que les mesures quantitatives qu’il effectue devaient être complétées par une évaluation plus qualitative de la couverture de la vie politique par les médias, notamment par la prise en compte en compte d’autres paramètres tels que la durée, le format et l’audience des émissions que les chaînes consacrent à la politique. Mais, à ma connaissance, cette déclaration d’intention n’a jamais été suivi d’effets.

3) Le dispositif actuel sous-représente à la télévision les formations et courants politiques non représentées au parlement, et tout particulièrement l’extrême gauche, le Front national, et Chasse Pêche Nature et Traditions. Ces formations ont obtenu 16,5% des suffrages exprimés aux législatives de 2002, (et leurs candidats plus du tiers des suffrages exprimés au 1er tour de l’élection présidentielle de 2002). Mais elle n’ont aucun élu au parlement et, du coup, elles sont quasiment absentes de l’antenne du fait de l’application du principe de référence. En 2005, d’après les relevés du CSA, les JT des grandes chaînes, ne leur ont attribué que de 1,5% (pour France 2) à 4, 6% (pour France 3) du temps d’antenne qu’elles ont consacré aux interventions politiques. Est-ce équitable ?

A suivre dans un prochain billet : le débat continue

2 août : Le CSA propose un document de réflexion sur les modalités du pluralisme à la télé

2 septembre : François Bayrou approfondit sa critique des médias (extrait du discours à l’Université d’été de l’UDF sur le site Nouvelobs.com)

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mercredi 13 septembre 2006

Apartés, paroles volées et langue de bois

Sommet de l’ASEM (Asia-Europe Meeting) à Helsinki, dimanche 10 septembre. Comme le veut la tradition, avant de s’installer à la table des débats, les chefs d’Etat et de gouvernement présents devisent aimablement sous l’œil des caméras. Ces petits moments sont prévus dans de nombreuses manifestations politiques afin de permettre aux médias « de faire des images » qu’ils utiliseront ensuite pour illustrer leurs reportages. Une caméra se concentre sur Jacques Chirac conversant en aparté avec le premier ministre espagnol, José Luis Zapatero, et en capte non seulement les images mais aussi le son. L’aparté, dans lequel on entend le Président évoquer la faiblesse du Hezbollah et le rôle de l’Iran dans la crise libanaise, est diffusé le soir même sur plusieurs chaînes de télévision (notamment France3).

Même jour sur Canal Plus. Dans sa nouvelle émission, Dimanche Plus, Laurence Ferrari reçoit Dominique Strauss-Kahn. Un petit reportage est diffusé sur DSK où l’on voit notamment le leader socialiste à la FNAC en train d’acheter un CD de Coltrane puis demander à un vendeur la chanson « Zidane il va marquer » pour son petit fils. Jolie image d’une personnalité politique, cultivée (Coltrane) mais ne dédaignant pas la culture populaire et aimant sa famille. Hélas, le reportage se poursuit par une autre séquence dans laquelle le même DSK interrompt l’interview qui se déroulait dans son bureau pour avoir un aparté avec l’un de ses conseillers (probablement en communication). La caméra ne tourne plus, mais le micro-cravate continue à fonctionner et l’on entend le conseiller dire à DSK « … et n'oublie pas tout à l'heure d'acheter un CD de Coltrane, c'est du jazz, et la chanson de Zidane pour ton petit-fils »..

Ces paroles volées de personnalités politiques ne sont pas nouvelles. Pareille mésaventure était déjà survenue à Tony Blair lors du sommet du G8 à Saint-Petersbourg, le 17 juillet 2006. Le Premier ministre britannique avait été alors enregistré, alors qu’il croyait les micros fermés, discutant avec Georges Bush, une conversation qui faisait apparaître Tony Blair comme le petit caniche (poodle) de Bush (et dont on peut trouver le script sur le site de la BBC ICI).

Droit à l’intimité versus droit à l’information

Historiquement, le droit à l’intimité est l’une des libertés fondamentales reconnues aux citoyens dans une démocratie. Il permet à l’individu de former ses opinions en toute indépendance et empêche l’Etat de s’immiscer dans les tréfonds parfois embrouillés de notre conscience.

Les personnalités politiques devraient-elles être privées de ce droit ? Doit-on considérer que, dès lors qu’elles sont dans l’exercice de leurs fonctions, tout ce qu’elles disent, même dans un cadre privé ou semi-privé, est d’intérêt public et peut être librement porté à la connaissance des citoyens ?

Pour certains journalistes, capter des images ou des conversations à l’insu des personnalités politiques (ou variante : lors de situations qu’ils ne maîtrisent pas) serait même une obligation. Parce que dans nos démocraties modernes, les responsables politiques ne tiennent plus que des discours policés, soigneusement construits et préparés, ces paroles volées seraient des instants de vérité qui révéleraient la réalité de la politique, comment les responsables politiques pensent et fonctionnent "en vrai".

Mais on peut craindre que ce type journalisme offensif, sinon intrusif, conduise paradoxalement à rigidifier le discours politique.
Sachant que désormais tous leurs propos peuvent être enregistrés à tout moment (ne serait-ce que grâce à un téléphone portable), les responsables politiques ne seront-ils pas tentés de contrôler encore davantage leur communication, en pratiquant constamment la langue de bois ou en organisant strictement la couverture de leurs déclarations ou apparitions publiques selon les principes du news management (que j'ai déjà évoqués dans des précédents billets ICI en mars 2005 et LA en juillet 2005)?

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mardi 12 septembre 2006

Comment suivre la campagne 2007 sur le net (1) : les sites d’info indépendants

Comme en 2002, de multiples sites d’information indépendants (i.e. non liés à un média ou à un portail) et non partisans (ne soutenant pas explicitement un candidat) sont apparus sur le net.
En voici une première liste, non exhaustive, brièvement commentée en fonction de mes préférences.

  • Election-presidentielle.fr : ce site qui souhaite proposer un éclairage original sur 2007, est actuellement l’un des plus complets (sans doute parce qu’il s’appuie sur une équipe d’une dizaine de personnes animée par Yves-Marie Cann, chargé d’étude à l’IFOP). On y trouvera des informations sur l’actualité, les règles et l’histoire de l’élection présidentielle, les candidats et les programmes des partis, les sondages. A noter également une très riche revue du web ainsi qu’une revue des blogs (qui, elle, n’est pas à jour). Bonne liste de liens, quoique incomplète (mon blog n’y figure pas !). Erratum : Après nouvelle consultation, la liste des liens est extrêmement fournie. Et même mon blog est référencé (en plus avec un commentaire ), mais en Rubrique "blogs citoyens", d’où mon erreur. Dommage que seuls les liens de cette rubrique soient commentés (jamais content le gars…).
  • Présidentielle-2007.net : Site très similaire au précédent, quoique un peu moins riche. On y trouvera une rubrique questions-réponses sur le déroulement de l’élection, une revue du Web par fil RSS. Une rubrique originale : la campagne en images (détournées), pour l’instant essentiellement produites par un certain Erby Kezako. On notera que ce site respecte très strictement les recommandations de la CNIL en matière de protection de la vie privée.
  • Présidentielle 2007 : Le blog de Laurent de Boissieu, journaliste à La Croix. Par delà les billets sur l’actualité de la campagne, il faut surtout aller visiter les liens sur les précédentes élections présidentielles qui renvoient en fait vers le très portail France Politique, sur lequel Laurent a stocké de très nombreuses données sur les élections et la vie politique, et notamment des tableaux et graphiques bien fichus sur les résultats.

  • Sondages 2%7 : Un blog original qui s’efforce de commenter tous les sondages relatifs à la présidentielle ainsi que les discussions sur les sondages. On peut retrouver les billets passés par rubriques thématiques : intentions de vote, profil du président, primaires du PS, etc. Seuls regrets : les billets sont assez brefs et n’étudient pas les résultats dans leur détail ; on aurait aimé un lien vers les résultats complets (disponibles le plus souvent sur les sites des instituts de sondage).
  • Observatoire Présidentielle 07 : ce site, conçu par les amis de l’Université technologique de Compiègne, propose le désormais célèbre Tendençologue qui permet de connaître le nombre de news, de billets de blogs ou de posts dans les forums de discussion dont les candidats ont fait l’objet. On peut comparer plusieurs candidats et obtenir les chiffres sur les 30 derniers jours ou par mois depuis décembre 2005.
  • Buzz-blog : Ce blog, très similaire au précédent, propose une mesure hebdomadaire des billets de blog publiés sur chacun des candidats (mais je n’ai pas compris ce qu’était l’IBBP - Indice Buzz Bblog Politique – pourquoi est-il inférieur à l’IBB de Sarko ou Ségo ?). Apparemment, on ne peut pas comparer les candidats. En revanche, et c’est très pratique, on dispose grâce à un fil RSS des titres des billets récemment publiés sur chaque candidat.
  • Objectif Présidentielle 2007 : Essentiellement un blog de revue de l’actualité, centré sur les déclarations de personnalités politiques ou autres relatives à la course à l’Elysée. On appréciera le design sobre et élégant.
  • Viepolitique.fr : Très proche du précédent (revue de l’actualité, beau design). Ce site, et non blog, propose une rubrique intéressante « Communication politique » dans laquelle on trouvera des fiches claires et plutôt bien documentées sur le déroulement des précédentes campagnes présidentielles de 1965 à 1981, parfois agrémentés d’illustrations (notamment quelques affiches des précédentes campagnes).
  • Et toujours :
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    le Blog de Netpolitique. Ce blog, contrairement à d’autres, ne suit pas l’actualité de la campagne au jour le jour. Par contre, il propose des analyses plus générales et souvent très fines sur les utilisations politiques de l’internet. De plus, du fait de son ancienneté, il permet de mettre en perspectives les pratiques actuelles.
    - Le blog Place de la démocratie, qui lui aussi propose des analyses au long cours et très lucides de l'internet politique et citoyen. On y trouvera un précieux Répertoire des blogs politiques, sous la forme d'un Wiki (ce qui signifie que chacun peut l'enrichir et le compléter).
Deux remarques pour terminer :

- La publicité, souvent sous forme de liens sponsorisés et même de bannières, est très présente sur certains de ces sites. On comprend bien que maintenir un site ou un blog exige des ressources financières, et cela d’autant plus qu’on est qu’un simple particulier. Néanmoins, ces publicités sont parfois préjudiciables à la mise en page des sites et à leur lecture dans la mesure où leur positionnement est mal ou pas contrôlé (ex. du blog Netpolitique). De plus, ces publicités tendent à parasiter ou contredire le message citoyen des sites en question.

- Mais qui parle ? Seulement quelques sites ou blogs donnent des indications précises sur leurs auteurs. Là encore, on comprend bien qu’il n’est pas toujours possible de dévoiler son identité (par exemple lorsqu’on a une activité professionnelle parallèle). Néanmoins, quelques éléments sur les concepteurs ou rédacteurs des sites seraient bien utiles.

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samedi 9 septembre 2006

L'art de la communication symbolique: Debré et les amendements parlementaires

Comment représenter simplement des idées ou des processus sociaux complexes?
C’est l’une des difficultés auxquelles est confrontée la communication en général, et la communication politique en particulier.

L’une des techniques couramment utilisées consiste à recourir à une image, un objet, une formule ou un chiffre, symbolisant ce qu’on veut représenter.

La symbolisation a des vertus bien connues :

  • elle condense une signification complexe en un quelque chose de plus simple, de plus immédiatement intelligible ou concret.
  • elle facilite la mémorisation, le symbole agissant comme une sorte d’étiquette dont notre cerveau se sert pour classer ou retrouver les multiples informations qu’il doit traiter.

Parce qu’elle doit montrer le pouvoir, une notion éminemment abstraite, la communication politique fait souvent appel aux symboles. Ainsi, on représentera les élections par l’image d’une urne, la paix par une colombe, un parti par son logo, etc.

La semaine dernière, c’est le Président de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, qui s’est essayé à un exercice de communication symbolique afin d’expliquer ce que représentait l’obstruction parlementaire.

Pour illustrer la gabegie de temps et de papier que représentaient les 137 449 amendements déposés par l’opposition parlementaire sur le projet de loi Suez-GDF, Jean-Louis Debré s’est fait photographier sur son perchoir entre deux énormes piles de papier (voir photo). Parallèlement, il déclarait dans divers médias (par exemple ICI dans le Figaro du 6 septembre) que, si l’on comptait 5 minutes de discussion par amendement, ces amendements exigeraient 11 100 heures de débats, soit 562 jours si l’AN siégeait 24h/24, ou 8 ans et 80 jours si elle siégeait à son rythme habituel. De son côté, Thierry Breton, le ministre des Finances, estimait que l’impression des amendements équivalait à 6574 arbres. (On notera la précision des chiffres qui, en ajoutant une dimension mathématique, ajoute à la force concrète du symbole).

Du symbole à sa (dé-)construction

Dans un premier temps, cet acte symbolique a en effet frappé les esprits, et d’abord ceux des journalistes. L’image des fameuses piles est apparue dans de nombreux médias (Le Monde, Le Figaro, TF1, France 3 notamment) les 5 et 6 septembre.

Mais dans un second temps, à partir du 7 septembre, l’attention des médias a délaissé le sens même du symbole pour se centrer sur sa construction. On découvre alors que les piles d’amendements n’étaient que des ramettes de papier vierge et que la masse des amendements ne représente que 3035 pages car beaucoup d’amendements ont été déposés l’identique par plusieurs députés. L’acte symbolique est ravalé au rang d’opération de communication. Frédérique Gerbaud, directrice adjointe du cabinet de Jean-Louis Debré, qui en a eu l'idée a beau expliquer qu’il fallait que « l'opinion publique puisse visualiser ce que nous dénonçons, à savoir l'obstruction de l'opposition au projet de loi », on ne retient plus que la mise en scène (voir par exemple ICI l’article de Libé du 7 septembre).

Par delà la réalité des choses, cet exemple montre combien l’art de la communication symbolique en politique est difficile et peut parfois être contre-productif. Lorsque le symbole simplifie de façon trop outrancière ce qu’il veut représenter, on n’aperçoit plus que l’instrument, et non plus la signification qu’il est censé porter.

Pareille mésaventure était déjà arrivée à Valéry Giscard d’Estaing dans sa dernière intervention de Président de la République le 19 mai 1981 (qu’on peut visualiser intégralement sur l’excellent site Archives pour tous de l’INA). A l’issue de celle-ci, VGE quitte lentement le bureau derrière lequel il se tenait et laisse l’image d’un fauteuil vide qui demeure à l’écran alors que La Marseillaise retentit. Le symbole était ici trop évident, trop lourd, presque caricatural.

Comme dit le proverbe chinois : "Lorsque le doigt montre la lune, le sage regarde le doigt".

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jeudi 7 septembre 2006

Internet et la présidentielle 2007 en 7 questions

2007 : la première vraie net-campagne ?

- C’est en 2001, lors des élections municipales, que le terme de net-campagne est apparu en France, bien qu’alors l’utilisation électorale de l’internet fût très modeste (moins de 1% des listes en présence avaient ouvert un site).

- En 2002, tous les candidats avaient un site, mais ceux-ci étaient très divers : de la quasi-affiche électronique, figée et non interactive, d’Arlette Laguiller aux applications sophistiquées (animation Vouzémoi) de Lionel Jospin. Les plus populaires ont compté au mieux 20 000 visiteurs par jour et, au total, environ 1,5 million d’électeurs a consulté un site relatif à l’élection durant la campagne ou les soirs de l’élection. On se souvient également que, durant l’entre-deux tours, l’internet a connu une intense activité (notamment sous la forme d’échanges de mails et de sites anti-le Pen proposant affiches et bannières).

- On pourra, à mes yeux, véritablement parler de net-campagne seulement lorsque l’internet:

  • constituera une dimension importante, sur le plan stratégique et budgétaire, des campagnes des candidats ;
  • sera une source d’information significative pour un grand nombre d’électeurs ;
  • deviendra l’un des principaux lieux du débat électoral ;
  • et aura un réel impact sur la définition de l’agenda électoral.


Comment les candidats utiliseront-t-ils l’internet ?

Des premières informations rendues publiques par les équipes de campagne on peut percevoir les tendances suivantes :

- Les sites Web les plus évolués se présenteront comme de véritables ensembles multi-média offrant textes, images (ex : vidéos des meetings ou des spots officiels de campagne), sons (ex : discours publics), documents en téléchargement (ex : tracts ou argumentaires, bannières de soutiens), applications de dons en ligne, éventuellement des jeux ou des applications interactives. La plupart devrait proposer des inscriptions à des newsletters ou à des fils RSS.

- Autour de leur site Web principal (souvent appelé site amiral), les candidats vont s’efforcer de favoriser, notamment en proposant des plate-formes d’hébergement gratuites, la création de deux ensembles de blogs : les blogs des comités de soutien officiels ou ceux de personnalités ou d’organisations explicitement affiliées au candidat ; les blogs d’individus ou de groupes supporteurs mais néanmoins indépendants. Ce dispositif à trois couches est lié en partie à des contraintes juridiques (que j’expliquerai peut-être un autre jour).

- Le recours au marketing par mail est incertain. Si celui est autorisé par la législation, il nécessite le consentement préalable des personnes visées (fichiers dits opt-in – la CNIL recommandant même, à la suite du Sarko-spam, que le caractère politique de la prospection soit clairement mentionné) et celles-ci doivent pouvoir s’opposer à l’utilisation de leur adresse mail. Par delà la difficulté technique de se procurer des fichiers opt-in absolument sûrs, le marketing direct ne fait pas partie de la culture électorale française, qui sépare assez strictement la sphère privée et la sphère publique.

- Les liens sponsorisés. L’UMP a clairement indiqué qu’elle aurait recours à cette technique en achetant des liens sponsorisés (aussi bien relatifs au débat en cours que des noms propres), notamment sur Google . L’équipe de Ségolène Royal semble plus prudente, mais devrait s’y mettre néanmoins, en tout cas pour des mots liés au débat électoral. Normalement, cette pratique devrait cesser trois mois avant le scrutin puisque le code électoral interdit alors la publicité politique par voie de presse ou tout moyen de communication audiovisuelle (quoique ce dernier terme soit ambigu et l’on pourrait arguer q’il ne concerne pas l’internet).

Comment les citoyens utiliseront-ils l’internet ?

Pour l’instant, l’internet reste encore une source d’information très secondaire lors des campagnes électorales.

- En 2004, lors des élections régionales ou européennes, seulement 12% des internautes français (6 à 7% des électeurs) se sont servis de l’internet pour s’informer sur ces campagnes (d’après les enquêtes réalisées par le CEVIPOF).

- Aux Etats-Unis, les enquêtes réalisées par le Pew Center montrent que si 30 % des électeurs américains ont utilisé l’internet pour s’informer sur la campagne de 2004 (contre 18% en 2000), le profil de ce public reste assez typé : plus diplômé, jeune, urbain et aisé que le reste des électeurs.
Lors de la campagne américaine, les principales utilisations de l’internet ont été : la documentation sur les positions des candidats (54% des internautes ayant consulté des sites électoraux), l’envoi de plaisanteries au sujet de l’élection par mails (51%), l’information sur l’action passée des candidats (32%), la consultation de sondages en ligne (28%). Moins de 10% des internautes ont participé à des discussions sur l’internet et seulement 6% ont effectué des dons en ligne.

- En 2007, on peut penser que 15% à 20% des électeurs français (30 à 35% des internautes) se serviront de l’internet pour s'informer sur la présidentielle. Néanmoins, l’internet souffre d’être perçu comme un média peu fiable. Selon la 1ere vague du baromètre politique du CEVIPOF, seulement 12% des électeurs font confiance à l’internet comme première ou seconde source d’information (contre 65% pour la télé), les 18-25 ans et les plus diplômés étant ceux qui ont le plus confiance dans l'internet.

La fin des médias traditionnels ?

- La télévision restera le principal médium de la campagne électorale.
Chaque jour 75% des Français regarde un JT . La télévision est le médium le plus universel et touche des individus de tout âge et de toute condition sociale. La télévision sera donc le vecteur privilégié par les candidats d’autant plus que la législation française leur donne un accès quasi-automatique (et gratuit) aux chaînes de télévision (voir sur ce blog mon billet à venir sur le pluralisme politique à la télévision) et qu’en outre, dans les 3 mois de la campagne précédant le mois du scrutin (donc à partir du 1er janvier 2007) , la publicité politique par voie de presse ou d’affiches commerciales est interdite. Enfin, depuis 2004, le CSA a assoupli les règles relatives au format des émissions de la campagne officielle télévisée : on devrait voir à cette occasion des spots politiques très sophistiqués, ressemblant à de la publicité politique télévisée.

- Quant à la presse écrite, même si sa diffusion est déclin, elle reste l’une principales sources d’information des responsables politiques ainsi que des journalistes et blogueurs.
Au demeurant, les quotidiens et hebdomadaires d’information sont tous présents sur l’internet et leurs sites Web figurent parmi les sites les plus visités (voir ICI l’audience internet en juillet 2006 sur le site de Médiamétrie)

- Les médias traditionnels sont également le lieu principal du débat politique : c’est d’abord par interventions dans les radios ou dans le JT, ou par tribunes et interviews dans la presse écrite que les candidats échangent des arguments et débattent.
Ce sont encore eux qui, en grande partie, définissent l’agenda des campagnes, c’est à dire les sujets autour desquels se structure le débat électoral.

Quelles seront les autres applications de l’internet ?

En 2007, comme c’était le cas en 2002, on trouvera à côté des sites des candidats, des médias et des institutions, des dizaines de sites indépendants relatifs à l’élection, conçus par des associations à vocation citoyenne, des agences web ou de communication, ou de simples individus. Ces sites seront de quatre sortes :

  • sites- guides offrant des données générales sur l’élection (son histoire, la réglementation, les candidats en présence, etc.) complétées les plus souvent par un suivi de l’actualité. (Voir ICI sur ce blog une liste de quelques sites-guides parmi les plus intéressants) ;
  • sites de commentaires et discussions: le plus souvent sous la forme de blogs; mais aussi quelques sites s'efforçant de structurer de façon plus formelle des débats (et dont je reparlerai plus tard);
  • sites-outils: offrant des applications permettant de comparer les programmes de candidats (notamment en utilisant des techniques de visualisation), ou les sondages en cours - sites de pronostics ou de simulation électorale; je range également dans cette catégorie des sites destinés à élaborer des propositions ou à transmettre es revendications aux candidats;
  • sites satiriques, proposant des imitations de sites officiels, des jeux et, de plus en plus, des détournements d’affiches, de photos, de sons ou de vidéos (facilités par la numérisation des données).


Quel rôle pour les blogs ?

Les blogs constituent une forme d’expression et de discussion politique nouvelle mêlant communication verticale et horizontale. Extrêmement simples à créer, ils démocratisent la publication en ligne. Mais par delà l’effet nouveauté et l’attention que leur portent les médias, quelle est au juste leur influence dans le domaine politique ?

- Les blogs politiques sont très peu nombreux (sans doute quelques milliers) au regard des millions de blogs du type journal, plus ou moins intime, ou des blog centrés sur un hobby.

- Pour une part , les blogs reproduisent (en les rendant toutefois plus visibles) des conversations politiques qui ont toujours eu lieu en famille, entre collègues de bureau ou copains de fac, voire entre inconnus au café du coin ou dans un taxi.

- Très peu de blogs politiques apportent de l’information fraîche et inédite et la plupart (y compris celui-ci!) commente ou retraite des informations publiées par les médias traditionnels. En cela, les blogueurs apparaissent comme des leaders d’opinion plutôt que comme des journalistes... même en pyjama (voir ICI mon billet : Les blogueurs, nouveaux journalistes ?).

- Toutefois, comme on l’a vu lors des élections américaines en 2004 à l’occasion de l’affaire des documents Killian présentés par CBS (dite aussi affaire Rathergate), les blogs pourraient jouer un rôle critique lors de la campagne en vérifiant, grâce à l’expertise collective de leurs animateurs et lecteurs, certaines des informations diffusées par les candidats ou les médias.

Quels effets de la net-campagne sur l’élection ?

Dire que l’internet n’aura pas d’influence à terme sur la politique, ce serait comme si, en 1960, on disait que la télévision n’allait avoir aucune incidence sur la communication électorale. Mais les effets de l’internet sur les comportements politiques sont difficiles à évaluer car ils sont diffus, lents, et sans doute contradictoires.

- Les enquêtes réalisées sur le sujet suggèrent que l’internet tend à améliorer l’information des citoyens les plus et mieux etinformés ainsi qu’à activer et à renforcer les dispositions politiques pré-existantes des individus. L’internet servirait surtout à prêcher et à mobiliser les électeurs déjà intéressés par la politique et convertis. Et c’est d’ailleurs dans ce sens que les candidats semblent vouloir l’utiliser en 2007. En 2002, d’après le sondage sortie des urnes réalisé par la SOFRES à l’issue du 1er tour, le vote des internautes a été quasiment identique à celui de l’ensemble des électeurs (le vote Le Pen étant toutefois un peu plus faible chez les internautes, ce qu’on peut expliquer par la sociologie particulière de cet électorat qui est plus âgé et plus populaire, i.e. moins internaute).

- L’usage de l’internet en soi (c’est à dire de façon générale, sans intérêt particulier pour les sites citoyens) affecte peu le rapport au politique. Ainsi, bien que désormais 70% des 18-34 ans utilisent assidûment l’internet (selon Médiamétrie 2006), leur tendance à l’abstention n’a pas diminué. Lors du référendum de 2005, et alors même qu’un intense débat avait eu lieu sur le Web, seulement 57% des 18-34 ans (d’après le SSU Ipsos) ont voté (un taux de participation voisin, voire inférieur, à ceux qu’on observe pour cette classe d’âge depuis une vingtaine d’années).

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