dimanche 31 août 2008

Etats rouges et Etats bleus : la polarisation politique aux Etats-Unis

Le vote populaire ne dit pas qui va gagner

Cela peut apparaitre étonnant, mais par rapport à leurs homologues français, les médias américains publient assez peu de sondages sur les intentions de vote à la présidentielle (ceux qui sont accros aux sondages pourront néanmoins trouver leur bonheur dans la presse, par exemple ici sur le site du New York Times). La raison tient sans doute au système électoral américain. Un sondage national n’a qu’un intérêt relatif pour anticiper l’issue de la présidentielle. Le président américain est en effet élu non pas directement par les citoyens américains, mais par un collège de 538 « grands électeurs ». Ceux-ci désignés dans chaque Etat suivant le principe du winner-take-all (le candidat arrivé en tête rafle toutes les voix des grands électeurs). De ce fait, il peut arriver qu’un candidat ayant recueilli la majorité des suffrages au plan national (ce que les Américains appellent « le vote populaire ») ne soit pas élu car il n’a pas la majorité des voix des « grands électeurs ». Cela s’est produit quatre fois jusqu’à présent en 1824, 1876, 1888 et surtout 2000 (où Bush l’a emporté avec 5 voix d’avance chez les grands électeurs alors que Gore avait obtenu plus de 500 000 voix que lui dans « le vote populaire »).


Un champ de bataille qui se rétrécit
Le système électoral américain explique également les stratégies de campagne qu’adoptent les candidats. Ceux-ci ont bien sûr intérêt à concentrer leurs efforts sur les Etats qui permettent de gagner le plus de grands électeurs. En théorie, il est possible d’être élu président des Etats-Unis en n’ayant la majorité que dans les onze Etats désignant le plus d’électeurs : Californie (55), Texas (34), New York (31), Floride (27), Illinois (21), Pennsylvanie (21), Ohio (20), Michigan (17), Georgie (15), New Jersey (15), caroline du Nord (15), ce qui permet d’obtenir 271 grands électeurs sur les 269 nécessaires.
En outre, les candidats tendent à délaisser les Etats qui ont une longue tradition de vote en faveur de leur camp (la Californie, l’Etat de New York, et les Etats du nord-est pour les Démocrates), (le Texas et les Etats du Sud et Mid-West pour les Républicains). Ils focalisent leurs activités de campagne sur les Etats dont le vote est incertain. En 2004, ils ont ainsi consacré 54% de leurs investissements en publicité télévisée et 45% de leurs déplacements à trois Etats (Floride, Ohio, Pennsylvanie) qui ne représentent pourtant que 14% de la population totale (Source : Who picks the President ? A report by FairVote – The Center for Voting and Democracy’s). Depuis le milieu des années 1990, le nombre des Etats considérés comme incertains et où se déroule en conséquence l’essentiel de la campagne (dits battleground, toss up ou swing States) s’est réduit et est passé d’une vingtaine à une douzaine ( Source : Congressional Quarterly’s Guide to U.S. Elections, 4th edition).Carte montrant les Etats où les dépenses en publicité ont été les plus fortes lors de la campagne 2004. Source: FairVote.

La polarisation entre Etats rouges et Etats bleus : un mythe ?
Il semble donc qu’au cours des deux dernières décennies, les Etats-Unis se soient davantage polarisés avec d’un côté des Etats fortement démocrates (Blue States) et d’un autre côté des Etats fortement républicains (Red States). Ce clivage géographique (opposant les régions industrielles démocrates et les zones rurales républicaines) reflèterait les différences sociales, religieuses ou raciales des populations concernées. Cette polarisation croissante peut apparaître surprenante dans la mesure où de nombreuses études ont montré que les électeurs américains tendent à devenir plus modérés et être moins attachés aux partis républicain et démocrate. Dans Culture War ? The myth of a Polarized America (New York: Pearson Longman, 2005), Morris Fiorina a d’ailleurs remis en cause l’idée d’une polarisation croissante. Je ne peux détailler toutes ses analyses ici, mais pour l’essentiel Fiorina nous dit qu’en termes de valeurs et d’attitudes politiques (mais pas religieuses) les Américains sont moins divisés qu’on ne le dit et que les clivages partisans ne s’observent véritablement que parmi les élites politiques et les citoyens engagés. Si l’on a l’impression d’une polarisation, ce serait surtout un effet du découpage des circonscriptions électorales (le gerrymandering) qui accentue artificiellement la séparation entre électorats démocrates et républicain. Incidemment, le mythe de la polarisation aurait été soutenu par les médias en ce qu’il simplifie et dramatise la couverture de la vie politique, présentée comme un affrontement entre les deux grands partis.
L’ouvrage de Fiorina a suscité de vifs débats et de nombreuses études sur le même thème. Comme il arrive souvent dans les recherches en sciences politiques, certaines enquêtes ont abouti à des conclusions sensiblement différentes et confirmé au contraire la tendance à une polarisation politique croissante des Etats-Unis (en termes géographiques, sociaux, et même religieux). Pour un bon point sur la question, on pourra consulter le numéro spécial de The Forum, A Journal of Applied Research in Contemporary Politics, Vol. 3, Issue 2, (July 2005) dont le sommaire est consultable ICI. (Voir en particulier l’article de Alan Abramowitz et Kyle Saunders, l’un des meilleurs à mes yeux).

vendredi 29 août 2008

La convention démocrate à Denver : un beau spectacle

Quelques notes et réflexions sur la Convention démocrate qui a eu lieu à Denver du 25 au 28 août 2008 pour entériner la candidature de Barak Obama.

Un spectacle bien orchestré. Depuis 1972 pour les Républicains (et 1980 pour les Démocrates), le déroulement des conventions est planifié minute par minute. Tous les détails sont minutieusement réglés à l'avance (par exemple, la couleur du tailleur que portait Hillary Clinton lors de son discours a été choisie par l’équipe de production audiovisuelle après des essais de lumière). Les moments clefs de la convention sont quasiment écrits à la manière d'un scénario. L’extraordinaire ballet de pancartes auquel se sont livrés les délégués lors du discours de Joe Biden, candidat à la vice-présidence, illustre bien cette orchestration. Lorsque Biden arrive sur la scène, les délégués brandissent des pancartes rouges portant son nom. Quand Joe Biden se lance dans une attaque répétitive sur le thème « Mc Cain that’s no change, that's more of the same », les délégués brandissent de nouvelles pancartes indiquant « Mc Cain, The Same ». Puis Biden passe à une autre partie de son discours sur le thème « Obama, that’s the change we need ». Dans la salle, de nouvelles pancartes apparaissent reprenant ce slogan. Et lorsque Biden achève sa prestation, c’est une quatrième série de pancartes qui apparaissent portant les noms d'Obama et Biden.

Le call roll: le concours de l’ Eurovision à l'américaine.
Le call roll est le moment la convention au cours duquel les délégations de chaque Etat indiquent comment elles répartissent leurs votes entre les candidats à la nomination. Chaque Etat est appelé par ordre alphabétique. C'est l'occasion pour les responsables des délégations (souvent des élus : sénateurs, gouverneurs, etc.) de profiter d'un petit moment de publicité et de mettre en avant, parfois avec emphase, parfois avec humour, voire les deux, une caractéristique de leur Etat : son rôle dans l'histoire des Etats-Unis, les personnages célèbres qui y sont nés, sa situation géographique (le Maine s’est ainsi vanté d’être le premier Etat à voir le soleil chaque matin) ou ses ressources touristiques, voire la qualité de son équipe de base-ball ou de basket. Les votes sont ensuite annoncés et repris par la maîtresse de cérémonie pour être additionnés, ce qui n’est pas sans rappeler le fameux décompte des points des concours de l'Eurovision. Obama 10 points, Clinton, 2 points. Hélas, cette année le call roll n’est pas allé à son terme, et les chefs des délégations des Etats après la lettre N n’ont pas eu droit à leur minute de célébrité télévisée, puisque Hillary Clinton, intervenant pour la délégation de l’Etat de New-York, a demandé un vote par acclamation de Barak Obama.

Le business de la politique
. On estime qu’une convention coûte entre 60 et 100 millions d’euros (mais, paraît-il, rapporterait autant en recettes diverses à la ville qui l’accueille). Pour financer les conventions, de nombreuses entreprises font des dons en espèces ou en services (Qwest a ainsi offert 6 millions de dollars au parti démocrate). En contrepartie, elles bénéficient d’une publicité indirecte (au travers des retransmissions télévisées de la convention) et d’accès VIP pour leurs invités. Ces dons leur donnent surtout le droit d’organiser des réceptions et des dîners qui sont autant d'occasions de contact avec des élus démocrates de tout niveau et de tous les coins des Etats-Unis. Environ 400 réceptions ou soirées ont eu lieu en quatre jours. Tout cela ressemble un peu au festival de Cannes : l'action n'est pas forcément dans la salle, mais dans les grands hôtels et les salles de réception où les businessmen devisent avec ceux qui font les lois ou régulent leurs activités. Dans un rapport récent, l’association Public Citizen s’est inquiétée de cette dérive en rappelant que les règles éthiques du Congrès interdisent en principe aux élus de répondre aux invitations des groupes d’intérêt. Public Citizen remarque aussi que les grands absents des conventions sont finalement les électeurs (même si certains d’entre sont venus, comme c’est l’habitude, manifester devant la salle de la convention - qui ressemblait d’ailleurs à une petite forteresse tant les contrôles de sécurité étaient nombreux et serrés).

Papa, maman, je vous aime! Qu'ils ont de la chance ces Démocrates: ils ont tous des parents, des conjoints et des enfants extraordinaires qui les aiment et qu'ils chérissent. Ils n'arrêtent pas de nous le répéter dans leurs discours et les images de leurs familles unies et heureuses ponctuent constamment la convention. D'ailleurs, tous les membres de la famille qui le peuvent sont là, sur l'estrade ou dans la salle, et apparaissent au moment opportun sur les écrans, la larme à l’œil. Voici comment, le premier jour, Michelle Barak a commencé son intervention en ouverture de la convention : As you might imagine, for Barack, running for president is nothing compared to that first game of basketball with my brother, Craig. I can’t tell you how much it means to have Craig and my mom here tonight. Like Craig, I can feel my dad looking down on us, just as I’ve felt his presence in every grace-filled moment of my life”. Le lendemain, Hillary Clinton, introduite par sa fille, semble plus réservée (et plus politique). Voilà ses premiers mots : "I am honored to be here tonight. A proud mother. A proud Democrat. A proud American. And a proud supporter of Barack Obama ". (Manque que le « a proud wife » ; Hillary, ou son inconscient, en voudrait-elle encore à son ex-président de mari?). Jour 3: Joe Linden, introduit lui par son fils Beau ( qui n'a pas hésité à faire dans le pathos en nous racontant l'accident de voiture dont la famille a été victime), attaque très fort: Beau, I love you. I am so proud of you. Proud of the son you are. Proud of the father you’ve become. And I’m so proud of my son Hunter, my daughter Ashley, and my wife Jill, the only one who leaves me breathless and speechless at the same time”. Et ça continue une minute plus tard. « I wish that my dad was here tonight, but I am so grateful that my mom, Catherine Eugenia Finnegan Biden, is here. You know, she taught her children—all the children who flocked to our house—that you are defined by your sense of honor, and you are redeemed by your loyalty. She believes bravery lives in every heart and her expectation is that it will be summoned”.

The media are watching
. Lors de la convention démocrate de 1968, les manifestants criaient aux délégués « The whole world is watching you ». Ce slogan est devenu aujourd’hui réalité et les conventions américaines font l’objet d’une couverture médiatique extraordinaire : environ 15 000 journalistes sont là, représentant 130 pays. Aux Etats-Unis même, la couverture télévisée est intense et surprenante pour un Européen puisque les grands réseaux retransmettent en direct (et en prime time) les grands moments de la convention, tandis que les chaînes d’info continue multiplient les plateaux réunissant hiérarques démocrates et analystes politiques pour des commentaires à chaud. Pour avoir tout ce petit monde sous la main, CNN a même investi un restaurant qui a été complètement redécoré pour devenir le CNN grill (avec un nouveau menu et sa bière spéciale). Mais les médias ne sont qu'un porte voix. Parqués dans des endroits réservés ou, comme ce soir pour l’intervention d’Obama, de petites tentes, ils sont tenus de retransmettre les images produites par l'organisation démocrate. Ce qui permet à celle-ci de composer son propre récit visuel de la Convention où ce qui frappe ce sont les constants et savants plans de coupe (sur Michelle Obama, sur Hillary ou Bill Clinton, ou sur des délégués qui offrent une mosaïque de couleurs de peau, de genres et d’âges) pour communiquer un message consensuel et subtilement émotionnel : celui d’un parti démocrate uni et harmonieux en route pour la victoire.

Photo: Michelle Obama (Washington Post). On peut deviner (à côté de la main de Michelle) le prompteur translucide que les orateurs utilisent pour lire leur discours sans avoir l'air.


I love politics: L'un des meilleurs blogs français sur la campagne électorale américaine de 2008

vendredi 15 août 2008

Etoiles filantes

Le mois d'août est le mois des étoiles filantes.

Pour cogiter un petit peu, tout en contemplant la voie lactée allongé sur l'herbe encore tiède de la chaleur de la journée, une petite question (onto-)logique:

Si l'on pose que l'univers est infini, peut-on dire qu'il y a une chance qu'existe quelque part dans l'univers une forme de vie analogue à l'une de celles que l'on trouve sur la terre?


lundi 11 août 2008

La loi des séries


Après la survenance d’un accident ou d’un événement dramatique, les médias remarquent parfois que d’autres accidents ou événements du même type se produisent dans les jours ou semaines qui suivent. Ils évoquent alors une loi de séries, comme si tout à coup le malheur arrivait par grappe. Il semblerait qu’une force funeste fasse se crasher plus que d’ordinaire les avions commerciaux (août 2005), pousse soudain des chiens à attaquer mortellement des enfants (juin 2006), provoque une épidémie d’altercations violentes entre des enseignants et leurs élèves (automne 2007), ou conduise des parents à oublier leur bébé dans leur voiture (juillet 2008).
Mais ce que nous croyons être une série n’est dû qu’à notre façon de mal observer la réalité et le résultat de diverses erreurs de perception, ou biais cognitifs dans le langage savant. En voici quatre parmi les plus courants.

1) L’effet d’amorçage.
Lorsqu’un événement très spectaculaire se produit et suscite une certaine émotion, notre attention pour ce type d’événement est momentanément aiguisée. Ce biais nous affecte tous, mais il touche particulièrement les journalistes dans leur sélection des nouvelles. Ainsi, les médias nationaux s’intéressent en général peu à la quarantaine d’accidents de passage à niveau qui ont lieu chaque année. Mais si l’un d’entre eux est particulièrement médiatisé (en raison de ses circonstances, du nombre de victimes, voire même parce que l’actualité était creuse à ce moment là), les médias vont faire davantage attention aux dépêches rendant compte d’autres accidents de ce type, alors que ces dépêches auraient été jetées à la poubelle en temps normal.
(Accessoirement, les médias aiment d’autant plus l’idée d’une loi des séries qu’elle leur permet de transformer un événement en problème de société).

2) Le biais de confirmation (très proche du biais précédent et qui le renforce).
Pour tester la validité nos connaissances, croyances ou idées, nous avons généralement tendance à rechercher des éléments qui les confirment, et non pas des éléments qui les contredisent. Si, par exemple, nous sommes convaincus qu’il y a un réchauffement climatique, nous allons être enclins à la fois à davantage remarquer et mieux retenir les signes qui confirment ce phénomène, et à négliger bien d’autre signes qui le relativisent.

3) L’incapacité à évaluer correctement les statistiques.
Nous avons souvent du mal à interpréter correctement les probabilités, notamment parce que nous oublions la taille de la population de référence. Même si un événement a une probabilité d’occurrence extrêmement faible, il a des chances de se produire si on le rapporte à une population très nombreuse. Par exemple, en jouant à pile ou face, la probabilité d’obtenir pile dix fois de suite est de 0,0009765625 (1/2 à la puissance 10), grosso modo une sur mille. Mais, si des millions de personnes jouent en même temps à pile ou face, la série pile dix fois de suite se réalisera des dizaines de fois.

4) L’attente excessive d’étalement.
Nous avons tendance à penser que des événements aléatoires doivent se répartir de façon étalée et à peu près équidistante dans le temps. Or, par définition, le hasard n’est soumis à aucune règle. Par exemple, si nous effectuons de très nombreux tirages aléatoires de douze dates dans une année, il arrivera très souvent que plusieurs de ces dates ne soient éloignées que de quelques jours. (Sur 100 000 tirages, la moyenne des écarts minima entre deux dates sera de 2,65 jours alors qu’intuitivement beaucoup d’entre nous penserait qu’elle serait voisine de 25-30 jours).
Toutefois, à certaines époques de l’année, il y a bien une plus grande fréquence d’événements d’un type particulier … parce que ces événements sont liés aux caractéristiques d’une période (le climat ou la chaleur dans le cas des bébés oubliés dans les voitures ; l’augmentation du trafic aérien lors des vacances dans le cas des crashes d’avions charters, etc.)

Pour aller plus loin :
Gérald Bronner, Coïncidences. Nos représentations du hasard. Paris : Vuibert, 2007.
(Gérald Bronner, maître de conférences en sociologie à Paris IV, s’attache depuis de nombreuses années à déchiffrer les logiques de nos croyances).
Jean-Paul Delahaye, Les inattendus mathématiques. Paris : Belin, 2006 (d’où sont issus les chiffres sur l’attente excessive d’étalement).

samedi 9 août 2008

jeudi 7 août 2008

La rubrique Grain de sel


Grain de sel: c'est le titre d'une nouvelle rubrique que vous trouverez de temps à autre sur ce blog.

L'intitulé n'est pas très original, et l'expression a parfois une connotation péjorative. Comme le rappelle ici l'excellent blog Linguapop, à ceux qui veulent mettre leur grain de sel, on est souvent tenté de dire: occupe-toi de tes oignons.

Pour moi, il s'agira de prendre l'expression au pied de la lettre. Comme on ajoute un tout petit peu de sel dans un plat pour en exalter le goût, j'essaierai de conjuguer parcimonie et saveur ajoutée et d'apporter le plus possible de sens en un minimum de mots.

mardi 29 juillet 2008

Y-a-t-il une loi des séries?


Multiplications des alertes dans les centrales nucléaires, accidents mortels aux passages à niveau, bébés oubliés dans des autos, incidents sur des avions de la compagnie Quantas...
Y-aurait-il une loi des séries?

Vous le saurez en lisant ce blog à partir du 4 août,
et tout particulièrement ce billet.

lundi 28 juillet 2008

(ré-) Ouvert pour cause de congés payés

Incroyable, mais vrai...
Alors que, le mois d'août approchant, il devient de plus en difficile de trouver une boulangerie ouverte à Paris, alors que des panneaux "Fermé pour congés payés" apparaissent sur des milliers de vitrines, le blog reprend ses activités.

Réouverture officielle le dimanche 4 août 2008
(avec une épatante nouvelle rubrique Grain de sel).


mercredi 9 janvier 2008

La suppression de la publicité sur les chaînes publiques en 7 questions

"Je souhaite donc que le cahier des charges de la télévision publique soit revue et que l’on réfléchisse à la suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques qui pourrait être financé (sic) par une taxe sur les recettes publicitaires accrues des chaînes privées et par une taxe infinitésimale sur le chiffre d’affaire de nouveaux moyens de communication comme la téléphonie mobile et l’accès à Internet.

Voilà une révolution qui, en changeant le modèle économique de la télévision publique, changera du tout au tout la donne de la politique culturelle dans la société de communication qui est la nôtre".
Nicolas Sarkozy, Conférence de presse du 8 janvier 2008.


1) Une annonce inattendue, mais une vieille idée (de gauche)
L’annonce de NS a été une surprise et dans les débats actuels sur le financement de l’audiovisuel, on envisageait plutôt une augmentation des ressources publicitaires des chaînes publiques. En témoigne d’ailleurs cette dépêche boursière du 8 janvier à 9 h43 : UBS abaissait sa recommandation sur TF1 d'acheter à neutre, ainsi que ses objectifs de cours sur TF1 et M6, la banque estimant que les perspectives publicitaires des chaînes étaient moroses.

Mais supprimer toute publicité sur les chaînes publiques n’est pas un projet nouveau, et c’est même un vieux projet de gauche.
- En 1989, Michel Rocard, alors premier ministre, souhaitait mettre en œuvre cette réforme en la finançant notamment par une taxe de 3% sur l’ensemble des investissements publicitaires, médias et hors-médias. (MR vient de déclarer ce matin que François Mitterrand avait refusé cette réforme sur le conseil de son ministre des Finances, Pierre Bérégovoy, qui pensait quelle entraînerait à terme une hausse de la redevance et donc de l’inflation).
- En septembre 1999, une centaine d’intellectuels et de professionnels de l’audiovisuel (dont Pierre Bourdieu) signaient une lettre ouverte proposant une suppression totale de la publicité sur France Télévision.
- En 2002, à la suite des travaux d’une commission présidée par Jean Martin, diverses sociétés d’auteurs dont la SACD, la SCAM et la SRF, s’étaient également prononcées pour la suppression de la publicité.

2) Le modèle britannique: un bon modèle?
Parmi les grandes chaînes publiques de télévision en Europe, seule la BBC fonctionne aujourd’hui sans publicité. Mais le financement de la BBC reste problématique et fait l’objet de constants débats depuis plus de vingt ans (cf. le rapport Peacock de 1985). Si la BBC parvient à fonctionner c’est grâce à une redevance élevée (135,50£ actuellement avec une augmentation régulière planifiée jusqu’à 148£ en 2012) et grâce aux ressources qu’elle tire de la vente de programmes et de services (20% de son budget en 2007, la redevance représentant 74%, le reste provenant de dotations budgétaires). Le BBC Trust mène depuis plusieurs années une politique de réduction de ses coûts. Enfin, la programmation de la BCC a été souvent critiquée au cours des dernières années, notamment pour ne pas prendre assez en compte les besoins de la population.

Si la Grande-Bretagne nous fournit un exemple intéressant, c’est moins celui de la BBC que celui de Channel Four dans sa première version (1982-1990). Cette chaîne alors sans publicité et entièrement financée par les autres chaînes privées du réseau ITV avait la mission de proposer une programmation alternative en visant notamment les minorités de la société. Et pendant ses dix premières années, elle a fait preuve d’une grande innovation et liberté créatrice.

3) Une bonne nouvelle pour les télévisions privées ?

Qui va profiter des investissements publicitaires qui vont aujourd’hui aux chaînes publiques ?
- Une partie seulement de ces investissements va se reporter sur d’autres vecteurs. Ce qui intéresse surtout un annonceur à la télévision, c’est de toucher la plus grande audience possible (notamment aux heures de grande écoute). Investir davantage sur TF1 ou M6 ne sert à rien si on ne peut toucher les téléspectateurs qui regardent France 2 au même moment.
- TF1 et M6 ont des espaces publicitaires limités par la règlementation (6 mn en moyenne journalière avec un maximum de 12 mn par heure). Certes, elles pourront augmenter leurs tarifs, mais il faudrait que la demande pour leurs écrans augmente elleaussi. Or, dans un contexte de crise économique larvée, les annonceurs tendent actuellement à réduire leurs budgets publicitaires grands médias.
Pour que TF1 et M6 puissent bénéficier de façon optimale de la suppression de la publicité sur les chaînes publiques, il faudrait augmenter le plafond horaire moyen autorisé par jour (voire le supprimer, comme le permet la directive TSF) et autoriser une seconde interruption publicitaire durant les films (voire une troisième puisque la directive TSF autorise une interruption toutes les 35 mn pour un film).

Si report il y a, il se fera sans doute vers les nouvelles chaînes de la TNT, l’internet et sous la forme d'un retour vers la presse écrite et la radio (qui ont vu leurs ressources publicitaires baisser ou stagner du fait de l’ouverture de la publicité télévisée aux grands distributeurs).
Il n'est pas sûr que TF1 et M6 en profitent à plein.

(On peut constater qu’après avoir spectaculairement bondi le 8 janvier (TF1 est passé de 16,5 à 18,36 à la clôture), les cours de ces deux sociétés ont baissé presque dans la même proportion aujourd’hui 9 janvier).

4) Comment financer la manque à gagner pour l’audiovisuel public ?
Les recettes publicitaires de France Télévision avoisinent les 840 millions d’euros. Où et comment trouver l’équivalent de cette somme?

Les taxes :
- La taxe sur « les recettes publicitaires accrues des chaînes privées » est la première solution envisagée par NS (on notera au passage le très ambigu « accrues » : l’assiette de la taxe portera-t-elle sur toutes les recettes ou seulement sur leur éventuelle augmentation à venir). Mais celle-ci ne pourra couvrir au mieux qu’une partie du manque à gagner, sauf à fixer un taux excessivement élevé.
Question en suspens : inclura-t-on dans l’assiette de cette taxe les autres médias susceptibles de bénéficier de la suppression de la publicité à la télé ? (Cela m’étonnerait qu’on veuille énerver la presse écrite avec cela).
- La taxe sur les chiffre d’affaires des opérateurs de téléphonie mobile et les FAI: là, il y a de quoi faire si l’on considère le chiffre d’affaires des opérateurs de téléphonie mobile (autour de 17 milliards d’euros) et leurs marges bénéficiaires confortables. En revanche, ce n'est peut-être pas une bonne idée de taxer les FAI si l’on veut encourager la diffusion de l’internet.
Si je fais une estimation à la louche : le chiffre d’affaires cumulé des chaînes de télévision privées, des opérateurs de téléphonie mobile et des FAI se situe entre 23 et 25 milliards d’euros. Il faudrait donc taxer à 3,5 ou 4%.

Augmenter la redevance :
Cette option est pour l’instant écartée par l’entourage de NS (cf. l'intervention à Europe 1 ce midi de son conseiller spécial, Henri Guaino, qui a joué un grand rôle dans le concept de politique de civilisation, dont la suppression de la publicité fait partie). Mais elle m’apparaît inéluctable (et on peut compter sur le lobbying des acteurs économiques : à service public, financement public).

Une réduction du budget l’audiovisuel public:
Si l’on ne veut pas taxer trop lourdement les opérateurs privés et si l’on ne veut pas augmenter la redevance, c’est la troisième possibilité qui m’apparaît, elle aussi, inéluctable (et l’exemple de la BBC va dans ce sens).
Elle peut prendre la forme d’une politique de réduction des coûts au sein de chaque chaîne publique, d’un regroupement de chaînes au sein du groupe France télévisio, ou - plus explosif et pour l’instant politiquement difficile - d’une "réduction du périmètre de France Télévisions" comme on dit, c’est à dire de la privatisation d’une de ses chaînes.

5) Moins de publicité, donc de meilleurs programmes ?
C’est le raisonnement implicite non seulement de Nicolas Sarkozy mais aussi de tous ceux qui dans le passé ont adhéré à ce projet.
Ce raisonnement fonctionne en fait en deux temps : Pas de la publicité, donc pas de course à l’audience; pas de course à l’audience, donc possibilité d'une programmation plus volontariste poursuivant des buts élevés.
Mais ces deux relations, surtout la première, sont loin d’être évidentes :
- La suppression de la publicité sur les chaînes publiques ne va pas nécessairement abstraire celles-ci de la logique de l’audience. Les taux d’audience ne sont pas seulement des indicateurs économiques servant à maximiser les ressources publicitaires; ce sont aussi des indicateurs politiques qu’on utilise (à défaut d’autres) pour mesurer la réponse à «la demande» ou la satisfaction des «attentes» des téléspectateurs. Même sans publicité, les chaînes publiques (du moins F2 et F3) chercheront toujours à toucher des audiences significatives pour établir leur légitimité et démontrer qu’elles sont utiles au public et font du bon travail. Que dirait-on de France 2 si, aux heures de grande écoute, elle n’était regardée que par moins d’un million de téléspectateurs ?
- La programmation d’une chaîne de télévision n’est pas seulement fonction des taux d’audience que peuvent réaliser ses émissions : elle dépend aussi de la réglementation et des contraintes imposées par les pouvoirs publics en matière de programmation et de production.
- Enfin, une chaîne publique qui n’aurait pas d’objectifs d’audience ne sera pas forcément une chaîne de qualité. Cela dépendra d’abord des moyens financiers dont elle dispose et ensuite des talents de ceux qui la font.

NB: Les liens des références seront bientôt mis en ligne.

A venir:
6) Vers une plus grande dépendance de l’audiovisuel public à l’égard du gouvernement.
7) Qu'est-ce que le service public dans l'audiovisuel?