dimanche 25 février 2007

Les parrainages, un déni de démocratie ?

En 2002, on avait compté plus de 70 candidats à la candidature. Aujourd’hui, il y en aurait plus d’une quarantaine. Et en dehors des candidats soutenus par les grands partis qui disposent du soutien de nombreux parlementaires et élus locaux, beaucoup ont du mal à réunir les 500 parrainages nécessaires. Pour l’instant, ils n’ont obtenu que des promesses qui ne se transformeront pas toutes en parrainages effectifs (la déperdition étant de l’ordre de 20 à 30%, et peut-être bien plus cette année) avant la date limite du 16 mars 2007

Certaines formations, comme le PS, ont demandé à leurs élus de ne n’apporter leurs parrainage qu’au candidat officiellement investi. On sait aussi que beaucoup de maires de petites communes, élus sur des listes apolitiques, hésitent à parrainer un candidat par peur de subir des représailles (et par exemple de tarder à obtenir les subventions qu’ils attendaient du conseil général pour certains travaux). Le fait que les élections municipales se dérouleront l’an prochain rend la collecte des parrainages encore plus difficile : nombre d’élus n’ont pas envie de s’engager soit par crainte de compromettre leur élection lors des prochaines municipales, soit tout simplement par souci de ne pas provoquer des polémiques ou des débats dans leur commune. Lors de l’élection 2002, on avait observé que Jean-Marie Le Pen avait été incapable d’obtenir des parrainages même dans les zones de force du Front national comme l’Alsace ou le littoral méditerranéen.

Les règles concernant les parrainages
Pour pouvoir se présenter à l’élection présidentielle, il faut être parrainé (la loi dit présenté) par 500 élus, représentant au moins 30 départements ou DOM-TM, sans que plus de 50 puissent venir d’un même département ou DOM-TOM. Les élus autorisés à parrainer un candidat sont les maires, les conseillers généraux, les conseillers régionaux, les députés et sénateurs, les parlementaires européens.

Pour les élections présidentielles de 1965 à 1974, le nombre de parrainages exigé était seulement de 100. Ceci a conduit à une (relative) inflation du nombre de candidatures (de 6 en 1965 à 12 en 1974) et, de plus, à l’apparition de candidats marginaux, peu connus et obtenant des scores extrêmement faibles (6 des candidats à l’élection de 1974 ont obtenu moins de 1% des suffrages exprimés et l’un d’eux, Guy Héraud, seulement 0,06%, soit moins de 20 000 voix sur 24,5 millions de votants). C’est pour contrecarrer cette double tendance, que le législateur a porté en 1976 le nombre de parrainages nécessaires à 500.

Parmi les quelques 40 000 élus susceptibles d’apporter leur parrainage, 17 815 l’ont effectivement fait en 2002 (pour 16 444 en 1981, et seulement 14 462 en 1995).
Pratiquement, les personnes habilitées reçoivent un formulaire de la part du Conseil constitutionnel. Si elles décident de parrainer un candidat, elles peuvent soit le remettre au candidat qui l’adressera ensuite au Conseil, soit le renvoyer directement à ce dernier (qui tient au courant quotidiennement les candidats du nombre de parrainages recueillis en leur faveur).
Après avoir vérifié la validité des parrainages, le Conseil établira la liste officielle des candidats (vraisemblablement le 20 mars, et en tout cas plus précocement que lors des précédentes élections présidentielles).
En revanche, ne seront publiés au Journal officiel que 500 noms de parrains, tirés au sort, pour chaque candidat. De 1988 à 2002, la liste complète des parrains a été affichée dans la semaine précédant le scrutin dans le hall du Conseil constitutionnel. Il n’en sera pas de même cette année, le législateur n’ayant pas reconnu la légalité de cette pratique. Toutefois, cela changera peu de choses à la situation des petits candidats : ceux-ci ne rassemblent en général pas beaucoup plus que les 500 parrainages exigés, et leurs parrains ont de très grandes chances de voir leur soutien connu de tous.

Un dispositif inique ?
Cette situation est-elle scandaleuse et peut-elle s’assimiler à un déni de démocratie ?
Idéalement, on peut certes souhaiter que les électeurs disposent du plus grand choix possible. Théoriquement, il pourrait y avoir jusqu’à 80 candidats (40 000 divisé par 500) si chaque personne habilitée parrainait un candidat. Mais une telle profusion aiderait-elle les électeurs à faire leur choix ?

- Un grand nombre de candidatures n’entraîne pas mécaniquement une plus grande participation à l’élection présidentielle. En 2002, 16 candidats étaient en lice (contre 9 en 1988 et 1995) et pourtant l’abstention a battu tous les records (28,2%, soit presque 7 points de plus qu’en 1995). Ce n’est pas parce que l’offre électorale s’accroît que l’appétence pour la politique fait de même.

- Comme on l’a vu également en 2002, la multiplication des candidatures au 1er tour peut avoir des effets pervers lorsque, en dispersant les suffrages en faveur d’un camp politique, elle aboutit à priver ce camp de représentant au second tour. Et il est vraisemblable que cette mémoire de 2002 joue dès à présent sur les réticences de certains élus à parrainer des candidats ; et qu’elle affectera aussi le comportement des électeurs (le CEVIPOF s’efforce de mesurer cet effet-mémoire dans les enquêtes qu’il mène actuellement).

- Accessoirement, la multiplication des candidats alourdit le coût de l’élection pour la collectivité. Un candidat de plus, et c’est plus de 80 millions de bulletins de vote supplémentaires qu’il faut imprimer (chacun des quelque 42 millions d’électeurs recevant un bulletin à son domicile et pouvant en obtenir un autre dans son bureau de vote). Toutefois, le coût de l’élection présidentielle reste raisonnable: il était de 200 millions d’euros en 2002, soit moins de 5 euros par électeur.

- S’il y a tant de candidats potentiels à la présidence de la république, c’est parce que la campagne présidentielle est devenue la principale tribune de la vie politique française: les candidats potentiels savent que durant cette période l’intérêt pour la politique des citoyens est nettement plus fort, et que la campagne offre une exposition médiatique sans équivalent et diverses facilités aux candidats officiels (153 000 euros d’avance, des affiches et professions de foi prises en charge par l’Etat contrairement aux autres élections, un temps d’antenne gratuit sur l’audiovisuel public et un accès plus aisé à toutes les chaînes de télévision (du fait du régime d’égalité entre les candidats que celles-ci doivent appliquer durant la campagne officielle). Du coup, autre effet pervers, plus il y a de candidats, moins les journaux télévisés sont en mesure de bien couvrir la campagne.

Que faire pour améliorer les choses?

Tout le monde est à peu près d’accord pour dire qu’il faut trouver un équilibre entre équité et efficacité : éviter la multiplication de candidatures fantaisistes tout en permettant aux forces politiques significatives de participer à l’élection présidentielle. Nul ne sait quelles seraient les conséquences d’une absence de Jean-Marie Le Pen le 22 avril, faute d’avoir obtenu les parrainages, mais chacun les craint. Reste à savoir comment faire concrètement.

1) Rendre les parrainages anonymes. Cela permettrait à certains élus de parrainer, en toute discrétion et en toute indépendance, le candidat de leur choix. Mais cette solution n’est pas entièrement satisfaisante dans la mesure où la démocratie exige en principe le plus possible de transparence et où elle assimile les élus à des individus peureux incapables de s’engager ouvertement. Les Verts par exemple y sont hostiles. De plus, garantir un secret absolu des parrainages ne sera pas chose aisée (lorsqu’un manipule des milliers de formulaires, les fuites sont vite arrivées).

2) Faire parrainer les candidats par les électeurs et non par des élus. C’est, à mes yeux, la plus mauvaise solution. A quel seuil fixer le nombre de parrainages nécessaires: 10 000, 100 000, plus ? Comment le Conseil constitutionnel pourra-t-il vérifier rapidement que les signatures sont authentiques ? Enfin, cette solution risquerait de donner lieu à des candidatures de groupes d’intérêts, voire des candidatures purement publicitaires, détournant l’élection présidentielle de son véritable objet. Elle risquerait de favoriser les candidats les plus doués en marketing ou disposant de ressources financières importantes, et pas forcément les plus représentatifs sur le plan politique. Enfin, cela allongerait encore la durée de la campagne.

3) Adopter un dispositif de parrainage panachant un soutien par les partis politiques et les élus. C’est la formule qui a été proposée par le sénateur Masson en 2005. Les candidats seraient soit désignés par les partis politiques ayant obtenu plus de 5% des suffrages exprimés aux précédentes élections (ce qui permettrait à Jean-Marie Le Pen d’être candidat), soit être présentés par 1000 élus, dont 5% de conseillers généraux, régionaux et députés ou sénateurs (ce qui compliquerait considérablement la tâche des candidats potentiels indépendants ou appartenant à des partis marginaux). Cette formule assouplit le système mais ne l’ouvre pas totalement. Obtenir 5% des suffrages exprimés aux élections législatives n’est pas une mince affaire et peut exclure certains partis non négligeables.

4) Passer à un scrutin proportionnel (ou incluant une dose de proportionnelle) pour les élections législatives. Cela permettrait aux partis ayant une existence significative dans notre pays d’avoir une représentation politique et de ne plus utiliser la campagne présidentielle comme moyen d’existence ou de pression en vue, justement, des élections législatives. Cette solution est politiquement la plus difficile à mettre en œuvre. Les grands partis sont évidemment hostiles à un mode de scrutin proportionnel qui affaiblirait leur influence. Et aussi bien le PS que l’UMP brandissent l’épouvantail du Front national qui, en cas de proportionnelle, pourrait constituer le troisième groupe du Parlement. Sans compter les arguments traditionnels contre la proportionnelle : celle-ci empêcherait de dégager une majorité de gouvernement et favoriserait l’instabilité du régime.

5) Recourir à des primaires au sein des grands courants politiques. C’est, à mon avis, la solution la plus réaliste à court terme, du moins s’il s’agit de primaires ouvertes (et non de primaires fermées, réservées aux seuls adhérents d’un parti, comme celles du PS en novembre 2006). Les électeurs de chaque grand courant politique pourraient directement participer à la désignation de leur candidat tout en évitant les guerres fratricides et les candidatures stratégiques visant seulement à obtenir des gratifications en vue du second tour, ou des législatives. De plus, ce processus oblige les partis à faire, relativement démocratiquement, les compromis indispensables à la clarté de la vie politique. Les primaires organisées par la gauche et le centre gauche italiens en 2005 ont montré que les difficultés matérielles inhérentes à ce type d’opération pouvaient être surmontées. Objection principale à ce système : il avantage les partis susceptibles de participer à des coalitions.

En fin de compte, il n’y a pas de solution miracle. Et la (petite) polémique sur les parrainages cache peut-être le vrai problème : celui de la capacité des partis politiques et des candidats, qu’ils soient grands ou petits, sérieux ou farfelus, officiels ou auto-proclamés, à répondre aux attentes profondes d’une partie substantielle de l’électorat.


Pour aller plus loin:

- Guilledoux F-J., Tous candidats! Le poids des petits dans la présidentielle 2007. Paris: Fayard, 2006

- Comment devient-on président(e) de la République? Les stratégies des candidats. Chapitre 2 (La désignation des candidats), p. 36 à 61 + éléments du chapitre 8 (Le coût et le financement des campagnes)

- Illustration: Situation des parrainages au 25 février selon Le Figaro avec la version "live" ICI

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jeudi 15 février 2007

Comment devient-on président(e) de la République? Les stratégies des candidats

On ne se fait plus élire aujourd'hui comme il y a quarante ans. Plus professionnelles et plus sophistiquées, les stratégies de campagne des candidats à l'élection présidentielle ont beaucoup changé depuis le premier scrutin au suffrage universel direct en 1965.
Comment devient-on président(e) de la République ? Les stratégies des candidats
est une plongée dans les machines électorales des candidats et leurs état-majors. Il analyse les appareils de campagne des candidats, étudie leurs plans de bataille et de communication et explique leurs effets sur la vote. Il propose enfin des outils pour comprendre les évolutions passées et futures de la communication politique en France et dans les démocraties occidentales.

Pourquoi certaines personnalités deviennent des présidentiables, tandis que d'autres n'y parviennent jamais ? Comment s'est mis en place le réseau de Ségolène Royal ? Qu'est-ce qu'un spin doctor et à quoi sert-il? En quoi Nicolas Sarkozy s'est -il inspiré des méthodes de campagne de Tony Blair ? Comment les candidats utilisent-ils les médias ? Quel peut être l'impact de la télévision sur l'issue du scrutin présidentiel ? L'internet aura-t-il un rôle déterminant dans la campagne?

Certaines évolutions récentes des campagnes électorales, comme le recours au croissant au marketing ou la tendance à l'américanisation de la communication politique sont parfois inquiétantes. Mais ce qui a le plus changé dans la relation entre candidats et électeurs, ce n'est pas tant la manière dont les candidats s'adressent aux électeurs que l'aptitude croissante de ces derniers à décoder les opérations de communication des personnalités politiques. Et c'est à ce travail de décryptage que ce livre voudrait les aider.

LA TABLE DES MATIERES DETAILLEE

LES DEBATS AUTOUR DU LIVRE

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CDPR: table des matières


Introduction

1. Les règles du jeu
La présidentielle : élection centrale de la Veme République
Les logiques conflictuelles de l’élection présidentielle

2. La désignation des candidats
La longue marche à la candidature
Vers un recours croissant à des primaires

3. Les plans de bataille
Concevoir une stratégie de campagne
La connaissance des électeurs et des comportements électoraux

4. Réseaux et machines électorales
Les réseaux pour préparer une candidature
Les appareils de campagne

5. Faire connaître son message
La communication directe
La gestion de l’attention médiatique

6. L’image des candidats et les conseillers en communication
Des images à l’image
Le rôle des conseillers en communication

7. Le rôle de la télévision et les effets des médias
La place centrale de la télévision
La lancinante question des effets des médias

8. Le coût et le financement de campagne
Les contraintes légales et leur philosophie
Le budget d’une campagne

9. Le futur de la communication politique
Ce que change l’internet
Vers des campagnes du quatrième type

Conclusion

Bibliographie
Introduction à la vie politique et aux élections
La communication politique
Les médias, les sondages et la politique
Etudes électorales et analyses du comportement électoral
Les analyses électorales du CEVIPOF
Liens internet

Liste des tableaux et encadrés

Les débats autour du livre

28 mars de 8h30 à 10h:

Débat autour du livre
dans le cadre des matinées du CEVIPOF
avec
Jacques Gerstlé (Paris I), Patrick Jarreau (Le Monde) et Philippe Lapousterle (conseiller de François Bayrou pour la presse et la communication), en présence de l'auteur (invitation PDF)




2 avril
de 17h à 19h :
Les médias et l'élection présidentielle: quels effets sur les évaluations politiques des électeurs?

Dans le cadre des Lundis du CEVIPOF
avec Etienne Moujeotte; vice-président de TF1, Denis Muzet, directeur de l'Institut Médiascopie et de l'Observatoire du Débat public, Thierry Vedel, chercheur au CEVIPOF. Débat animé par Pascal Perrineau, directeur du CEVIPOF


Débats passés:

26 février de 14h à 15h 30: Chat en direct sur Nouvelobs.com

28 février de 18h 30 à 20h: "L'internet, futur vainqueur de l'élection présidentielle?
Fondation pour l'innovation politique,
137, rue de l'Université, Paris 7e
(Accès par le 12-14, rue Jean Nicot)

2 mars de 16h à 18h: Débat autour du livre
.Université de Paris 2, Institut français de presse, 92 rue d'Assas, 75006 Paris.

2 mars de 19h à 22h: "L'opinion gouverne-t-elle?"
Centre Pompidou, dans le cadre de la série de débats : Où va notre démocratie?

13 mars de 17h30 à 19h: Débat à la FNAC de Montpellier

15 mars de 18 h à 19h30: Débat à la FNAC de Parly 2

16 mars de 17h30 à 19h: Débat à la FNAC de Paris St-Lazare


CDPR: Tableaux et encadrés


L'ouvrage Comment devient-on président(e) de la République? Les stratégies des candidats comprend 28 tableaux ou encadrés.

En voici la liste pour vous repérer plus facilement





  1. Les pouvoirs du président de la République (p 20)
  2. Les règles de l’élection présidentielle (p 35)
  3. Les profils des présidentiables (p 39)
  4. La désignation de la candidate du PS (p 61)
  5. Des sondages aux focus groups ( p 79)
  6. Résultats du second tour depuis 1965 (p 83)
  7. Les résultats du 1er tour par famille politique (p 84)
  8. Les principaux clubs politiques (p 95)
  9. L’appareil de campagne de Tony Blair en 1997 (p 108)
  10. Qui fait quoi dans une équipe de campagne (p 115)
  11. Communication directe ou indirecte ? (p 124
  12. Interdictions concernant la communication électorale (p 129)
  13. Les régimes de traitement des candidats par les médias audiovisuels (p 142)
  14. Les spins doctors (p 146)
  15. L’image et l’écrit (p 162)
  16. Les slogans des campagnes (p 173)
  17. Les principaux slogans des candidats de 1965 à 2002 (p 175)
  18. Les sources d’information politique utilisées en premier par les électeurs (p 183)
  19. Le vote des auditoires des journaux télévisés (p187)
  20. Effets globaux et individuels des médias : une illustration chiffrée (p 206)
  21. Les principales lois sur le financement des campagnes électorales (p 212)
  22. Les recettes des candidats en 2002 (p 222)
  23. Les dépenses des candidats en 2003 (p 223)
  24. L’efficacité financière des campagnes en 2002 (p 228)
  25. Le rôle des blogs lors de la campagne présidentielle américaine (p 242)
  26. Les deux premières sources d’information utilisées par les électeurs (p 245)
  27. Le niveau d’études des internautes français ayant visité un site politique en mars 2004 (p 246)
  28. Types de campagnes électorales dans le temps (p 259)