mercredi 25 octobre 2006

Qu'est-ce qu'un bon débat politique?

Les débats télévisés des trois candidats socialistes à la candidature, diffusés sur La Chaîne parlementaire, Public Sénat et LCI, suscitent de nombreuses réactions et commentaires (davantage d’ailleurs pour leur forme que pour leur contenu). Le 19 octobre dernier, on a également pu assister à un débat très houleux, et parfois inaudible, sur la crise des banlieues lors de l’émission "A vous de juger" sur France 2.

Mais, au fait, qu’est-ce qu’un bon débat politique ? Quelques réflexions.


Un débat nous dit le dictionnaire est l’examen et la discussion d’une question par des personnes d’avis différents. Difficile de débattre si l’on est du même avis, et c’était le paradoxe (apparent) du débat des candidats socialistes qui étaient en principe d’accord sur le projet adopté par leur parti.

Les règles du débat

Tout débat doit suivre des règles qui définissent son déroulement (ce qu’on appelle généralement le format du débat). Celle-ci concernent notamment :
- la durée globale du débat et de ses différentes composantes ;
- les rôles des différents participants et les modalités de leurs interventions ;
- l’agencement du lieu du débat ;
- et, en cas de retransmission télévisée, les modalités de cadrage.

Dans un débat politique, on pourra distinguer :
- les débatteurs proprement dits (personnalités politiques, candidats),
- les questionneurs (journalistes spécialisés et, parfois, public),
- l’animateur qui s’attache à faire respecter les règles et tout spécialement celles relatives aux temps de parole.

En général, on considère que chacun des débatteurs doit disposer du même temps de parole. C’est en quelque sorte l’application au débat politique d’un des principes de base de toute démocratie : l’égalité des citoyens. Et c’est sans doute pour cette raison que les débatteurs sont attachés presque religieusement à cette règle, même s’il est assez évident que l’impact qu’on peut avoir sur l’auditoire d’un débat ne dépend pas seulement du temps dont on dispose (et qu’une intervention claire et concise peut être bien plus efficace).
On remarquera que la règle d’égalité des temps de parole n’est quasiment jamais appliquée aux questionneurs, comme si, malgré tout, dans un débat politique, certains participants avaient plus d'importance que d'autres.
Idéalement, on pourrait souhaiter que soit appliquée, non pas une règle d’égalité des temps de parole, mais une règle d’équité afin de tenir compte par exemple des inégalités dans les capacités d'expression.

Le débat politique à l’américaine : mythe et réalités

Les commentateurs du débat entre les candidats du PS ont fait souvent référence au « débat politique à l’américaine » avec des remarques du type : « Le débat du PS n'était pas folichon, mais bon, c’était un débat à l’américaine » (sous-entendu, j’imagine, c’est comme cela qu’on fait dans le pays où la communication politique est la plus moderne).

Cette référence est doublement rigolote.
Pourquoi devrions-nous prendre le modèle américain comme exemple du bon débat politique ?
Il n’y a pas, aux Etats-Unis, un format unique de débat politique, mais au contraire une multitude de formats (chaque élection donnant lieu à d’âpres discussions sur le bon format), et tous font l’objet de critiques.

Depuis 1948, trois grands types de formats ont été utilisés lors des primaires ou campagnes présidentielles américaines (avec de nombreuses de variations pour chacun):
- le format podium : les candidats sont débout derrière un pupitre ou assis sur des chaises. Ils font face aux à des panélistes (journalistes) et au modérateur (animateur). Suivant les cas, les candidats répondent seulement aux questions des panélistes ou bien peuvent s’adresser les uns aux autres.
- le format dit town meeting: le débat en lieu en présence d’un public (qui souvent peut poser des questions). Les candidats sont généralement debout derrière des pupitres et ils peuvent être autorisés à marcher sur la scène.
- le format table-ronde : les candidats ainsi que l’animateur sont assis autour d'une table et s’adressent directement les uns aux autres.

Quelque soit la formule retenue, les débats politiques sont souvent critiqués. Voici quelques-uns des problèmes identifiés (d’après Diana B. Carlin et Mitchell S. McKinney, 1994) :
- les candidats n’ont pas assez de temps pour répondre de façon substantielle aux questions;
- ils ne répondent pas toujours à la même question, ce qui empêche les comparaisons, ou tout simplement ne répondent pas aux questions posées ;
- les panélistes sont trop intrusifs ou, au contraire, ils n’interviennent pas assez ;
- les panélistes représentent mal les proéccupations de la population ;
- le format question-réponses ne favorise pas un vrai débat.

Les débats politiques du temps de l’ORTF

D’autres commentateurs ont fait référence aux débats de l’ORTF (la télévision publique française de 1959 à 1974), sous-entendu : c’était un débat ennuyeux et langue de bois.

Là encore c’est assez rigolo, et peu oublieux de l’histoire de la télé, car les débats qui ont existé sous l’ORTF étaient assez vivants, et même très novateurs pour l’époque.
Ils ont pris deux formes principales:
- format Face à la presse : une personnalité politique répond aux questions de plusieurs journalistes, comme dans l’émission Face à face de 1966 ;
- format Duel : Deux personnalités politiques débattent directement entre elles, sous la supervision d’un ou deux animateurs.

Ce second format a été particulièrement illustré par l’émission A armes égales diffusée entre 1970 à 1973. Outre un débat, elle comprenait la présentation d’un film d’un quart d’heure par chacun des deux invités, et une séquence de questions par un panel de téléspectateurs.
Cette émission a donné lieu à de mémorables échanges, notamment à un fameux débat entre Georges Marchais (PCF) et Alain Peyrefitte (UDR) en septembre 1972, ainsi qu’à la célèbre sortie de Maurice Clavel en décembre 1971, qui avait quitté le studio pour protester contre le remontage de son film de présentation en lançant « Messieurs les censeurs, bonsoir !».

Les débats politiques sont-ils utiles ?

Oui répondent dans l’ensemble les recherches menées sur le sujet.

- Les débats élèvent le niveau d’information et de connaissance politiques des électeurs.
- Ils accroissent l’intérêt pour les campagnes électorales et la vie politique.
- Ils permettent aux citoyens de comparer les candidats, leurs personnalités et leurs projets, et leur fournissent des éléments utiles pour leur vote.
- Ils rendent la politique plus vivante et plus concrète, voire spectaculaire (au sens premier du terme: qui surprend, étonne et frappe l'imagination)
- Ils facilitent l’acceptation des résultats des élections et, plus généralement, renforcent l’attachement aux principes de la démocratie.

En revanche, les recherches sur les débats politiques suggèrent que ceux-ci n’ont que très peu d’effets sur les intentions de vote, mais tendent plutôt à renforcer les dispositions pré-existantes des électeurs. On a souvent noté que les citoyens qui regardaient les débats politiques télévisés étaient des citoyens plutôt politisés, aux opinions déjà bien établies, tandis que les citoyens qui pourraient être les plus sensibles à l’influence des débats les regardaient en général très peu.


Pour aller plus loin :

- Carlin D. and McKinney M. (ed.).The 1992 Presidential Debates in Focus. Westport, Conn.: Praeger, 1994.

- Chaffee S. and Dennis J. “Presidential debates: An empirical assessment”. In Ranney A. (ed.), The past and future of presidential debates. Washington, D.C.: American Enterprise Institute, 1979, pp. 75-106.

- Nel N., A fleurets mouchetés: 25 ans de débats télévisés. Paris: INA/ La Documentation française, 1988.

jeudi 5 octobre 2006

Bourdieu - Ségolène (comment déjà?): suite

Si vous avez cliqué sur le lien vers Dailymotion (dans mon billet du 3 octobre juste dessous), vous avez obtenu le message suivant: Ce contenu a été censuré. Pourquoi? Comment?
Le Libération d'aujourd'hui, 5 octobre, raconte tout. Donc autant citer l'article de Ludovic BLECHER:

"Au départ, il y a un entretien posthume du sociologue Pierre Bourdieu, décédé en 2002, diffusé vendredi sur Zalea TV. Présentée par cette chaîne alternative du Net comme une séquence «inédite de douze minutes tournée en mai 1999 par Pierre Carles», la vidéo s'intitule : «Gauche-Droite, vu par Pierre Bourdieu» (1).
«Habitus». Le sociologue y cite en exemple ces «responsables politiques dits de gauche (qui) sont en fait de droite». Comme Ségolène Royal ? C'est en tout cas l'avis de Bourdieu : «Comment elle s'appelle, la femme de Hollande ? Ségolène Royal. Et bien pour moi elle n'est pas de gauche. (...) Elle a un habitus , une manière d'être, une manière de parler qui vous dit : "Elle est de droite"», estime-t-il dans son face-à-face avec Pierre Carles. Il croit même savoir qu'à l'ENA, la jeune Ségolène Royal s'est «posé la question du choix entre la gauche et la droite en terme de plan de carrière» et qu'elle a choisi la gauche faute de places à prendre à droite.
Sitôt après sa diffusion, un court extrait de la séquence est posté anonymement sur Dailymotion, un site de vidéos en partage. S'ensuit un phénomène classique qui voit le lien vers la vidéo tourner de sites en blogs, de boîtes mails en boîtes mails. En quatre jours, les propos de Bourdieu ont été visionnés près de 18 000 fois sur Dailymotion et 560 sur Youtube, une autre plate-forme de vidéos qui diffuse le document dans son intégralité.
«Tronqué». Mais depuis hier, seule cette version longue était encore disponible sur le Web. Dailymotion a retiré le court extrait à la demande de Pierre Carles ­ qui s'est opposé, par mail, à la diffusion d'un «document tronqué» ­, avant de le remettre, puis de l'enlever de nouveau. Pour finalement proposer uniquement la version longue. Cette vidéo ­ diffusée pile le jour où Ségolène Royal a officialisé sa candidature à la candidature ­ continuera certainement de nourrir les débats en ligne. Ces derniers jours, des dizaines de billets et des centaines de commentaires ont été consacrés à cette affaire qui fait, sur l'Internet, autant de bruit que les révélations sur le rôle du frère de Ségolène Royal dans le sabordage du Rainbow Warrior en ont fait sur le papier" .
(1) Il s'agit en fait d'un rush du documentaire de Pierre Carles intitulé La sociologie est un sport de combat .

Excellente petite investigation de LB et très juste remarque sur le fameux buzz (bruit de la boule-de-neige?) que l'internet peut produire.
En même temps, 18 000 visionnages de la vidéo, version courte, et environ 6500 (aujourd'hui vers 17h30) de la version longue, ce n'est pas rien mais quand même presque négligeable. Pour mémoire: le 20 h de TF1, c'est 8 millions de téléspectateurs en moyenne, et celui de France 2 , environ 4,5 millions. Mais qui sait: "Bourdieu versus Ségolène" va peut-être faire mieux que "Ségolène versus Nolwenn" (1er au hit-parade des vidéos le plus consultées sur TF1 entre le 14 et le 16 septembre)?

En attendant, et surtout: Pan sur mon bec! On devrait toujours vérifier l'origine d'une vidéo qu'on cite, essayer de savoir dans quel contexte et dans quel but elle a été produite. Bref, toujours nous demander de quels sombres desseins nous sommes les ingénus instruments (hum!).

La version longue de la vidéo avec des explications sur son origine ICI

mardi 3 octobre 2006

Media melo

Ségolène Royal n’est pas de gauche

"Instantanément, cela se voit (…), elle a une manière d’être, une manière de parler qui vous dit qu’elle est de droite, même si elle tient des propos de gauche".

C’est Pierre Bourdieu qui le dit, dans une vidéo enregistrée en 1999 et mise en ligne sur Daily Motion ICI le 29 septembre, signalée le 1er octobre dans le fil d’une des discussions du Big Bang Blog , puis mise en exergue par le chef du Big Bang Blog Daniel Schneidermann, (avec ce très bon sous-titre : Extraordinaire apparition du fantôme du comptoir), puis également commentée le 2 octobre par Jean-Marie Aphatie sur son blog RTL, et signalée par Alain Ertoghe sur son blog Carte de presse (qui est consacré aux campagnes électorales de 2007 et vaut un coup d’œil), etc.

Par delà l’anecdote et l’effet boule de neige propre aux blogs, cette petite vidéo souligne le rôle croissant que jouent les podcasts vidéo dans la politique en ligne et que les camarades de Netpolitique avaient analysé, dès mai 2006, dans ce billet ICI et dans cet autre billet LA intitulé L’élection DailyMotion ?
Comme ils le notent très justement, les sites de podcasts video offrent un espace qui n’est pas régulé par le CSA et qui pourrait servir aussi bien à l’émergence de spots publicitaires politiques (interdits en France sur les chaînes de télé) qu’à la diffusion de témoignages militants ou d’images volées.

Les blogs publicitaires: du Président à la police

Les blogs peuvent servir à beaucoup de choses, même à la promotion publicitaire. L’an dernier, j’avais déjà évoqué ICI un curieux site dans lequel un certain Beta-7 racontait qu’à force de trop jouer sur un jeu Sega il devenait dingue, et qui n’était en fait que l’instrument d’une campagne publicitaire de Sega.

Récemment, pour la promotion du film Président, ce n’est pas moins de deux sites web, l’un censé être le site officiel du Président, l’autre un site d’opposants au Président qui ont été mis en place.
Il y a une quinzaine de jours, c’est la Présidente, alias Anne Cosigny, de la série L’Etat de Grace, « comédie sur le pouvoir, la politique, et la place des femmes dans la société » diffusée sur France 2, qui ouvrait son blog. Un blog qui reste toutefois désespérément vide.

Enfin, on trouvera ICI une plate-forme de blogs policiers, avec des vidéos et des chats, où des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur témoignent de la réalité de leur métier, et qui fait partie de la campagne de recrutement du ministère de l’Intérieur.

Les dictateurs et la pression de l’opinion publique

Jeudi 28 septembre, l’émission Envoyé Spécial de France 2 a diffusé un reportage de Catherine Berthillier sur le Turkménistan, qui proposait d’édifiantes images, tournées en caméra cachée, de la dictature qui règne dans ce pays sous la férule implacable de son président à vie, Saparmourad Niazov.

Ce reportage a suscité cependant un certain malaise. Ogoulsapar Mouradova, correspondante turkmène de la radio américaine Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL), qui avait aidé la journaliste française à réaliser son reportage en mars 2006 et Annakourban Amanklytchev, militant des droits de l'Homme qui lui avait servi de fixeur (guide et interprète), ont été arrêtés à la mi-juin 2006. La première est morte en détention en septembre. Le sort du second est incertain.

Catherine Berthillier a-t-elle pris des risques exagérés et exposé inconsidérément ses collaborateurs – même si ceux-ci étaient sans doute conscients de ce qu’ils faisaient en l’aidant - au nom du devoir d’informer (et peut-être aussi de la recherche d’une exclusivité) ?
C‘est l’avis de certains téléspectateurs qui ont vivement réagi sur le forum de l’émission Envoyé spécial ou sur le blog de Morandini. D’autres estiment que ce reportage était, au contraire, nécessaire et aide les Turkmènes en mettant en lumière la situation dramatique de ce pays.

Catherine Berthillier se dit très choquée (France Inter le 20 septembre, émission J’ai mes sources) et explique ICI qu’elle espère que la diffusion de son reportage fera pression sur le régime. Depuis juin 2006, Reporters Sans Frontières mène d’ailleurs une action de soutien aux journalistes et militants des droits de l’homme au Turkménistan.

Mais, les dictateurs et les régimes autoritaires sont-ils sensibles à la pression de l’opinion (de surcroît internationale) et à l’invocation de la liberté de la presse puisque, par définition, ils nient l’une et l’autre ? Ne vaut-il pas mieux agir via des pressions économiques ? Sauf que bien souvent le credo politique et les intérêts économiques des pays occidentaux ne vont pas dans le même sens. Nous fermons les yeux sur les entorses aux droits de l’homme dans certains pays parce que ceux-ci constituent des débouchés commerciaux.

Et cela semble bien le cas de Turkménistan si l’on suit cet entretien avec David Garcia, auteur d’un livre intitulé Le Pays où Bouygues est roi (éditions Danger Public, 2006), qui explique pourquoi les médias français sont si discrets à l’égard du Turkménistan.

Pour aller plus loin :

Un blog plein de ressources sur le Turkménistan