Flash-back : le 14 mai 2006, François Bayrou annonce lors du JT de TF1 (photo) que l'UDF votera la motion de censure du gouvernement. Deux jours plus tard, onze des trente députés du groupe UDF à l’Assemblée nationale passent à l'acte.
Un mois plus tard, le 13 juin 2006, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), considérant que du fait de ce vote ces onze députés n’appartenaient plus à la majorité parlementaire, décide de comptabiliser leurs interventions sur les chaînes audiovisuelles dans le temps de parole de l’opposition parlementaire.Vive réaction de François Bayrou (et du PS qui, dans cette nouvelle configuration perd quelques minutes de temps d’antenne). Lors d’une conférence de presse le 14 juin, le président de l’UDF dénonce l’emprise de l’Etat UMP et la décision partisane du CSA. « De quel droit, s’indigne-t-il, une instance nommée par le pouvoir, saisie par le parti dominant s’arroge-t-elle le droit de juger de la situation d’un parti politique contre son gré ? », en rappelant que la Constitution de 1958 ne définit pas la notion de majorité ou d’opposition parlementaire.
Du coup , le CSA révise sa position et , le 20 juin, il décide de comptabiliser le temps de parole des membres de l'UDF à partsans l’imputer ni sur celui de la majorité, ni celui de l'opposition. Une méthode de calcul qui, note le CSA, « déroge aux règles traditionnelles du Conseil, mais répond à une situation inédite ».
Précisément, quelles règles le CSA applique-t-il en matière de pluralisme dans l’audiovisuel ?
De la règle des trois-tiers au principe de référence
C’est la loi de 1986 sur la liberté de communication qui charge le CSA (photo des 9 membres du Conseil) de veiller au respect du pluralisme politique dans l’audiovisuel (voir ICI la rubrique Contrôle du pluralisme politique sur le site du CSA).
Traditionnellement, deux formes de pluralisme sont distinguées : le pluralisme externe, qui vise à la diversité des opérateurs et que le CSA doit appliquer lorsqu’il autorise les chaînes de télévision privées; et le pluralisme interne, qui concerne la diversité et l’équilibre des courants d’opinion s’exprimant sur chaque chaîne de télévision (publique ou privée).
Pour garantir le pluralisme interne, le CSA appliquait jusqu’en janvier 2000 la règle dite des trois-tiers : les chaînes de télévision devaient répartir le temps d’antenne qu’elles consacraient aux interventions des personnalités politiques également entre trois groupes : les membres du gouvernement, les personnalités représentant la majorité parlementaire et les personnalités représentant l’opposition parlementaire.
En janvier 2000, le CSA a modifié légèrement la règle des trois-tiers en adoptant ce qu’il appelle le principe de référence. Celui prévoit que : « Sauf exception justifiée par l'actualité, le temps d'intervention des personnalités de l'opposition parlementaire ne peut être inférieur à la moitié du temps d'intervention cumulé des membres du gouvernement et des personnalités de la majorité parlementaire. » En outre, les chaînes doivent « assurer un temps d'intervention équitable aux personnalités appartenant à des formations politiques non représentées au Parlement ».
Ce principe, au libellé emberlificoté, est assez proche de la règle des trois-tiers à deux petites différences près :
- les temps de parole du gouvernement et de la majorité parlementaire ne sont plus dissociés (et, en théorie, une chaîne pourrait s’acquitter de ses obligations de pluralisme en consacrant 19 minutes au gouvernement, 1 minutes à la majorité parlementaire et 10 minutes à l’opposition parlementaire) ;
- une représentation à l’antenne des partis non représentés au Parlement est prévue sans que ses modalités quantitatives ne soient toutefois précisées (cf. plus loin).
On notera que le principe de référence ne s’applique qu’en dehors des périodes électorales.
[Lors des campagnes électorales, le CSA applique d’autres règles.
Ainsi, pour l’élection présidentielle, le CSA distingue une période de pré-campagne (qui commencera vraisemblablement le 1er janvier 2007) durant laquelle les médias audiovisuels, public ou privés, doivent couvrir les interventions des candidats de façon équitable. Ce dernier terme mériterait une définition plus précise, mais dans la pratique il signifie que le temps d’antenne consacré à un candidat doit être grosso modo proportionnel à son importance politique. Mais comment mesurer-ton cette importance ? Principalement grâce aux sondages sur les intentions de vote ou de popularité, qui eux-mêmes reflètent en partie la couverture médiatique dont bénéficient les candidats… On tombe dans le cercle vicieux que François Bayrou a récemment dénoncé (et sur lequel je reviendrai plus longuement dans un autre billet).
Puis, lorsque commence la campagne officielle, 2 semaines avant le 1er tour, c’est un régime d’égalité qui est appliqué : chacun des candidats (et il n’y a plus alors que des vrais candidats) doit bénéficier du même temps d’intervention sur les chaînes de télévision. Cette règle égalitaire, simple et claire, soulève néanmoins des difficultés d’application lorsque, comme en 2002, il y a beaucoup de candidats et lorsque certains de ceux-ci n’ont qu’une activité de campagne réduite.]
Les problèmes du principe de référence
Le dispositif découlant du principe de référence pose trois problèmes principaux.
1) Les interventions du président de la République ne sont pas comptabilisées. Cette pratique, validée par le Conseil d’Etat, est justifiée (voir ICI le site du CSA) par « la place qui, conformément à la tradition républicaine, est celle du chef de l'État dans l'organisation constitutionnelle des pouvoirs publics », celui-ci ne s'exprimant pas au nom d'un parti mais au nom de la Nation. Cela ne fait pas de doute lorsque le Président intervient à la télévision lors d’une crise internationale (comme celle du Liban). C’est moins évident lorsqu’à l’approche d’un scrutin, le Président dit aux Français quel est le bon choix.
2) Une évaluation quantitative du respect du pluralisme politique est-elle suffisante ? Une interview de trois minutes dans le JT de 20 h et une intervention de même durée dans un débat de seconde partie de soirée ne sont pas équivalents. Le CSA en est bien conscient : il comptabilise distinctement les temps de parole politique, dans les JT, les magazines d’information, et les autres émissions ; il a indiqué à plusieurs reprises dans ses rapports annuels que les mesures quantitatives qu’il effectue devaient être complétées par une évaluation plus qualitative de la couverture de la vie politique par les médias, notamment par la prise en compte en compte d’autres paramètres tels que la durée, le format et l’audience des émissions que les chaînes consacrent à la politique. Mais, à ma connaissance, cette déclaration d’intention n’a jamais été suivi d’effets.
3) Le dispositif actuel sous-représente à la télévision les formations et courants politiques non représentées au parlement, et tout particulièrement l’extrême gauche, le Front national, et Chasse Pêche Nature et Traditions. Ces formations ont obtenu 16,5% des suffrages exprimés aux législatives de 2002, (et leurs candidats plus du tiers des suffrages exprimés au 1er tour de l’élection présidentielle de 2002). Mais elle n’ont aucun élu au parlement et, du coup, elles sont quasiment absentes de l’antenne du fait de l’application du principe de référence. En 2005, d’après les relevés du CSA, les JT des grandes chaînes, ne leur ont attribué que de 1,5% (pour France 2) à 4, 6% (pour France 3) du temps d’antenne qu’elles ont consacré aux interventions politiques. Est-ce équitable ? 2 août : Le CSA propose un document de réflexion sur les modalités du pluralisme à la télé 2 septembre : François Bayrou approfondit sa critique des médias (extrait du discours à l’Université d’été de l’UDF sur le site Nouvelobs.com) Tags: pluralisme - audiovisuel - télévision - CSA - Bayrou.
1 commentaire:
Ce q'il y a de formidable dans cette histoire, c'est que Bayrou se trahit en se réclamant dans le temps de parole de la majorité. Pour quelqu'un qui prétend incarner une troisème voie, il ne fait que des zigs-zags de la voie droite à la gauche.
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