Comment représenter simplement des idées ou des processus sociaux complexes?
C’est l’une des difficultés auxquelles est confrontée la communication en général, et la communication politique en particulier.
L’une des techniques couramment utilisées consiste à recourir à une image, un objet, une formule ou un chiffre, symbolisant ce qu’on veut représenter.
La symbolisation a des vertus bien connues :
- elle condense une signification complexe en un quelque chose de plus simple, de plus immédiatement intelligible ou concret.
- elle facilite la mémorisation, le symbole agissant comme une sorte d’étiquette dont notre cerveau se sert pour classer ou retrouver les multiples informations qu’il doit traiter.
Parce qu’elle doit montrer le pouvoir, une notion éminemment abstraite, la communication politique fait souvent appel aux symboles. Ainsi, on représentera les élections par l’image d’une urne, la paix par une colombe, un parti par son logo, etc.
La semaine dernière, c’est le Président de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, qui s’est essayé à un exercice de communication symbolique afin d’expliquer ce que représentait l’obstruction parlementaire.
Pour illustrer la gabegie de temps et de papier que représentaient les 137 449 amendements déposés par l’opposition parlementaire sur le projet de loi Suez-GDF, Jean-Louis Debré s’est fait photographier sur son perchoir entre deux énormes piles de papier (voir photo). Parallèlement, il déclarait dans divers médias (par exemple ICI dans le Figaro du 6 septembre) que, si l’on comptait 5 minutes de discussion par amendement, ces amendements exigeraient 11 100 heures de débats, soit 562 jours si l’AN siégeait 24h/24, ou 8 ans et 80 jours si elle siégeait à son rythme habituel. De son côté, Thierry Breton, le ministre des Finances, estimait que l’impression des amendements équivalait à 6574 arbres. (On notera la précision des chiffres qui, en ajoutant une dimension mathématique, ajoute à la force concrète du symbole).Du symbole à sa (dé-)construction
Dans un premier temps, cet acte symbolique a en effet frappé les esprits, et d’abord ceux des journalistes. L’image des fameuses piles est apparue dans de nombreux médias (Le Monde, Le Figaro, TF1, France 3 notamment) les 5 et 6 septembre.
Mais dans un second temps, à partir du 7 septembre, l’attention des médias a délaissé le sens même du symbole pour se centrer sur sa construction. On découvre alors que les piles d’amendements n’étaient que des ramettes de papier vierge et que la masse des amendements ne représente que 3035 pages car beaucoup d’amendements ont été déposés l’identique par plusieurs députés. L’acte symbolique est ravalé au rang d’opération de communication. Frédérique Gerbaud, directrice adjointe du cabinet de Jean-Louis Debré, qui en a eu l'idée a beau expliquer qu’il fallait que « l'opinion publique puisse visualiser ce que nous dénonçons, à savoir l'obstruction de l'opposition au projet de loi », on ne retient plus que la mise en scène (voir par exemple ICI l’article de Libé du 7 septembre).
Par delà la réalité des choses, cet exemple montre combien l’art de la communication symbolique en politique est difficile et peut parfois être contre-productif. Lorsque le symbole simplifie de façon trop outrancière ce qu’il veut représenter, on n’aperçoit plus que l’instrument, et non plus la signification qu’il est censé porter.
Pareille mésaventure était déjà arrivée à Valéry Giscard d’Estaing dans sa dernière intervention de Président de la République le 19 mai 1981 (qu’on peut visualiser intégralement sur l’excellent site Archives pour tous de l’INA). A l’issue de celle-ci, VGE quitte lentement le bureau derrière lequel il se tenait et laisse l’image d’un fauteuil vide qui demeure à l’écran alors que La Marseillaise retentit. Le symbole était ici trop évident, trop lourd, presque caricatural.Comme dit le proverbe chinois : "Lorsque le doigt montre la lune, le sage regarde le doigt".
Tags: Debré -communication - symbolique - amendements
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