lundi 1 mai 2006

La nouvelle communication syndicale

En cette journée de fête du travail, qui commémore l’action entreprise le 1er mai 1886 par des ouvriers américains pour la journée de 8 heures, un regard sur les nouvelles formes de la communication syndicale à partir du cas de Wal-Mart aux Etats-Unis.

Avec un chiffre d’affaires de 312 milliards de dollars en 2005, la chaîne de super-marchés Wal-Mart est une des plus grandes entreprises américaines et le premier distributeur mondial avec plus de 3800 points de vente aux Etats-Unis et 2600 dans le reste du monde. Connue pour ses bas prix, elle est régulièrement critiquée pour sa politique de bas salaires et l’insuffisance de la couverture sociale qu’elle offre à ses 1,8 millions d’employés. Elle s’est constamment opposée à l’implantation de syndicats au sein de ses établissements.

Incapables de mener leur action selon le schéma traditionnel, deux confédérations syndicales, la Service Employees International Union (SEIU) et l’United Food and Commercial Workers International Union (UFCW) ont décidé depuis un peu plus d’un an de mettre en œuvre une nouvelle stratégie de communication dans laquelle l’internet joue un rôle important.

En avril 2005, l’ UFCW a créé WakeUpWalMart.com et engagé une campagne de communication dirigée par Paul Blank, qui fut directeur politique de la campagne d’Howard Dean en 2004. Le site comprend non seulement des informations sur Wal-Mart (notes d’information et argumentaires, revue de presse, rapports et enquêtes, témoignages d’anciens employés), mais aussi de nombreux outils et conseils pour mener ce que les anglo-saxons appellent une grass-roots campaign : il encourage les Américains à rejoindre un groupe local et propose un large répertoire d’actions à mener aussi bien auprès de la population, que des médias ou des élus (rubrique Take action). Cette action, qui réplique la stratégie de mobilisation mise en place par Howard Dean en 2004 en utilisant Meet-up, s’accompagne d’une campagne publicitaire sur les écrans de télévision (dont on trouvera les principaux spots ICI) . Actuellement, plus de 226 000 américains auraient apporté leur soutien.

La campagne de la SEIU s’appuie elle sur le site Wal-Mart Watch. Disposant d’un budget d’un million de dollars, elle est animée par une équipe de 36 personnes et fait appel à des consultants politiques comme le Démocrate Jim Jordan, campaign manager de John Kerry en 2004, mais aussi le Républicain Terry Holt, un des porte-parole de la campagne de Bush-Cheney en 2004. Ce dernier justifie son engagement ainsi: “Wal-Mart is giving capitalism a bad name. It’s lost touch with its small-town roots and has become a company that is depending on corporate welfare ... and an all-too-cozy relationship with China. (Source: Associated Press, 23 avril 2006).

Le site apparaît plus sobre, mais peut-être plus offensif que celui de l’UFCW et présente l’action contre Wal-Mart comme une bataille (the Battle-Mart), avec un plan d’attaque, des sites-cible, une liste des victoires enregistrées et un florilège des meilleures tactiques à partir d’exemples réels.

L’offensive syndicale est toutefois affaiblie par la concurrence entre les deux campagnes menées en parallèle, qui reflète davantage une rivalité organisationnelle (l’UFCW appartient à l’AFL-CIO et la SEIU à une confédération rivale) qu’un véritable désaccord de fond. Bien que leurs objectifs et leurs méthodes apparaissent très similaires, les deux organisations ont parfois davantage tendance à se critiquer mutuellement qu’à combattre Wal-Mart.

Pour contrer cette nouvelle forme d’action syndicale, Wal-Mart emploie les grands moyens. Elle a créé une War Room, sur le modèle de celle de Clinton pour sa campagne électorale de 1992, pour coordonner sa communication. Elle a fait appel à plusieurs conseillers en communication parmi lesquels les Républicains Michael Deaver et Terry Neslon (directeur politique de la campagne Bush-Cheney en 2004) mais aussi le campaign strategist Démocrate Leslie Dach. A côté du site officiel, Wal-Mart Facts, conçu pour rétablir la vérité sur Wal-Mart et mobiliser les employés de la firme, Wal-Mart a également suscité la création d’une organisation Working Families for Wal-Mart (présidée par Andrew Young, figure démocrate bien connue de la communauté black et ancien maire d’Atlanta et ambassadeur américain à l’ONU), qui a mis en place un site web recherchant, à l’instar des sites syndicaux, le soutien de la population.

Connue pour ses relations difficiles avec la presse, elle a organisé pour la deuxième fois en un an, une media conference les 18 et 19 avril pour présenter ses activités et dire aux journalistes qu’elle les aimait.
Suivant l’exemple d’autres compagnies comme General Electric, Wal-Mart a également intégré ls blogs dans sa stratégie de communication, comme le rapporte cet article du New-York Times du 7 mars 2006 : certains blogueurs reçoivent des informations ou documents inédits, des suggestions de thèmes ou des arguments, ou encore des invitations à visiter le siège de l’entreprise. Et ça marche, puisque divers blogueurs ont été vivement critiqués par leurs collègues pour avoir reproduire les arguments de Wal-mart sans citer leur origine.

La communication de Wal-Mart repose enfin sur ses ressources financières. Le 22 mars 2006, elle a fait un don de 1 million de dollars à la Martin Luther King Jr. National Memorial Project Foundation. A l’approche des mid-term elections de 2006, elle multiplie les contributions aux candidats de tous bords. Manque de chance, Hillary Clinton, qui avait pourtant fait partie de son conseil d’administration, a refusé le chèque de 5000 dollars que Wal-Mart lui avait envoyé en vue de sa réélection en indiquant qu’elle avait désormais de « serious differences with current company practices ».

Trois enseignements du cas Wal-mart

Le cas Wal-Mart est intéressant car il fait apparaître trois tendances actuelles de la communication politique aux Etats-Unis:

  • la professionnalisation de la communication syndicale, qui s’accompagne du recours à des conseillers en communication choisis davantage pour leur savoir-faire et leur expertise techniques que leurs orientations politiques ;
  • la confusion croissante entre les registres de la politique et de la consommation qui transparaît également dans l’émergence d’un consumérisme politique (consommateurs choisissant les enseignes dont ils sont clients en fonction des politiques – sociale, environnementale, droits de la personne, etc. - de ces enseignes) ;
  • la montée du lobbying astroturf, (terme inventé par opposition à grassroot, l'astroturf étant de la pelouse synthétique) qui caractérise les actions menées par de grandes entreprises en vue d’influencer les politiques publiques et se présentant sous la forme (souvent artificielle et trompeuse) d’une mobilisation du public.

Pour aller plus loin sur le lobbying Astroturf:
Lyon T. P. et Maxwell J. W. (2004). "Astroturf: Interest Group Lobbying and Corporate Strategy". Journal of Economics & Management Strategy. Vol. 13, n° 4, Winter, pp. 561-597.

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