Contraindre les journalistes à citer leurs sources lors d’enquêtes judiciaires. Tel est l’objet de la proposition de loi visant à renforcer la présomption d’innocence en matière de communication judiciaire que le député Jacques Briat (UMP, Tarn-et-Garonne) avait déposée en novembre 2003 et qu’il s’efforce de relancer actuellement à l’occasion de l’affaire Clearstream.
Cette proposition, que le député qualifie lui-même d’audacieuse dans une interview parue le 16 mai 2006 dans Le Figaro (et qui, par ailleurs, n’est pas particulièrement bien rédigée), s’inscrit dans le vieux débat sur les relations entre presse et justice.
S’agit-il d’une atteinte au droit à l’information des journalistes ?
Contrairement à une idée reçue, le secret professionnel des journalistes n’existe pas. Le secret professionnel est une obligation faite à certaines professions (magistrats, médecins, avocats policiers, notamment) de ne pas révéler les informations obtenues dans le cadre de l’exercice de leur profession. Ce qu’ont toujours revendiqué les journalistes est quelque chose de différent : le droit (et non l’obligation) de ne pas révéler leurs sources.
Ce droit leur et reconnu depuis 1993 par la loi : l’article 109 du code de procédure pénale dispose en effet que « tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine ». Ainsi, un journaliste qui a obtenu des documents relatifs à l’instruction judiciaire d’une affaire financière n’est en principe pas obligé d’indiquer auprès de qui, ou comment, il a obtenu ces documents. En principe toujours, il ne peut être non plus poursuivi pour violation du secret de l’instruction puisque celui-ci ne concerne que les parties qui concourent à la procédure (policiers, magistrats et greffiers, avocats).
Depuis le milieu des années 1990, certains juges se sont efforcés de contourner cette protection en poursuivant des journalistes pour recel de violation du secret de l’instruction ou recel de violation du secret professionnel. Le raisonnement est le suivant : lorsqu’un journaliste se trouve en possession de document soumis au secret de l’instruction (par exemple le procès-verbal d’audition d’un témoin), peu importe comment, et auprès de qui, il a obtenu ce document ; on constate simplement qu’il détient illégalement ce document. De la même façon, on peut estimer qu’il y a recel de violation du secret professionnel lorsque les journalistes détiennent des informations provenant d’une source soumise au secret professionnel. (Mais, dans ce dernier cas, la constatation du délit est normalement plus difficile puisqu’il faut en théorie prouver que le journaliste a obtenu ses informations de la part d’une source soumise au secret professionnel).
Si la Cour de cassation a validé à plusieurs reprises des condamnations de journalistes pour recel de violation du secret de l’instruction (notamment, en juin 2001, celle des auteurs de l’ouvrage Les oreilles du Président), en revanche, elle a admis dans un arrêt très remarqué (Crim, 11 juin 2002, Bull. n° 132) qu’un journaliste puisse être amené à présenter des pièces litigieuses (en l’occurrence des documents soumis au secret de l’instruction) pour assurer sa défense dans le cadre de poursuites pour faits diffamatoires. Cet arrêt est important car il met fin à la situation impossible dans laquelle se trouvaient certains journalistes et que décrit bien L.-M. Horeau, journaliste au Canard enchaîné : "Si le journaliste n'a aucun document, c'est un diffamateur ; s'il possède des documents et les produit, c'est un receleur ; s'il possède des preuves et ne les produit pas, il est condamné".
Pour aller plus loin: Communiqué du 24 octobre 2003 de Reporters sans frontières dénonçant la condamnation d'un journaliste pour recel de violation du secret de l'instruction
Tags: journalistes - secret professionnel - justice - sources - presse
jeudi 18 mai 2006
Les journalistes et leurs sources
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