samedi 26 novembre 2005

Chirac et la représentation de la diversité à la télévision : un pétard mouillé

Mardi 22 novembre, le Président de la République a souhaité rencontrer les responsables des chaînes nationales de télévision ainsi que le président du CSA pour s’entretenir avec eux de la représentation à l’antenne de la diversité de la société française. Il a notamment souhaité une modification de la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication (texte officiel de la déclaration de Jacques Chirac ICI)

(En souvenir de Rosa Parks : cliquer sur la photo pour accéder au portail Rosa parks)


Un arsenal juridique insuffisant ?
Pourquoi modifier une fois encore (ce sera la 37 eme fois en 20 ans) la loi de 1986 sur la liberté de communication ? La législation de l’audiovisuel contient déjà diverses dispositions pour assurer la représentation de la diversité de la société française sur les écrans.

  • La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punit la provocation à la discrimination ou à la haine raciale.
  • L’article 15 de la loi de 1986 sur la liberté de communication prévoit que « le CSA veille à ce que les programmes ne contiennent aucune incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de race, de sexe, de mœurs, de religion ou de nationalité ».
  • Les cahiers des charges de France 2 et France 3 obligent ces chaînes à veiller à ce que leur "offre de programmes témoigne de la richesse et de la diversité des cultures de la société française" (article 2) et leur demandent de "contribuer à travers leurs programmes et leur traitement de l’information à la lutte contre les discriminations et les exclusions de toutes sortes" (article 3).
  • Les conventions de TF1 et M6 obligent ces chaînes "à respecter les différentes sensibilités politiques, culturelles et religieuses du public ; à ne pas encourager des comportements discriminatoires en raison de la race, du sexe, de la religion, ou de la nationalité ; à promouvoir les valeurs d'intégration et de solidarité qui sont celles de la République ; à prendre en considération, dans la représentation à l'antenne, la diversité des origines et des cultures de la communauté nationale" (article 9).
Les minorités visibles, c’est quoi ?
Lorsqu’ils débattent de la question de la représentation de la société française sur les écrans, les gens des médias utilisent fréquemment l’expression de minorités visibles. Cela part sans doute d’une bonne intention, et découle en partie des contraintes de notre droit et de notre célèbre modèle républicain qui ne reconnaissent pas explicitement les minorités ethniques ou nationales. Mais la notion est assez peu heureuse, voire douteuse.
  • D’abord parce qu’on pourrait l’utiliser à tort et à travers (je mesure 1,50 m donc j’ai le droit de passer à la télé en tant que membre de la minorité visible des petits).
  • Ensuite, il est assez clair (si je puis dire) que tous les membres de minorités n’ont pas forcément une gueule de minoritaire. On peut très bien être un beau blond aux yeux bleus et s’appeler Thamazight, être né en Kabylie et avoir fait ses études dans une ZEP.
  • Enfin, et surtout, parce que cette notion légitime un traitement différentiel des individus en fonction de leur apparence.




La faute aux médias ?
Le Président de la République suggère que la crise qu’a connue la société française est, indirectement et en partie, liée au fait que les médias représentent mal la société française. Sans doute. J’ai déjà dit dans ce blog combien les médias avaient du mal à traiter la culture des banlieues et à en rendre compte de façon régulière et non pas ponctuelle.
En même temps, on doit reconnaître que les chaînes de télé ont fait des efforts en la matière au cours des dernières années. TF1 indiquait dans son rapport d’activité 2003 qu’elle « s’applique à promouvoir la présence de minorités visibles dans ses séries les plus populaires », ce qu’on peut en effet constater. France Télévisions a lancé en janvier 2004 un plan d’action positive pour l’intégration, et conclu des accords avec deux écoles de journalisme, dont celle de Sciences-po, pour allouer des bourses à des jeunes gens issus de l’immigration.

Quatre remarques cependant :
  • Ce ne sont pas seulement les minorités issues de l’immigration mais aussi des pans entiers de la vie sociale, économique et politique que les chaînes de télévision ont du mal à représenter (par exemple les minorités politiques, les mouvements sociaux, les PME).
  • Une véritable intégration et promotion des minorités ne passe pas seulement par ce qui se voit à l’écran, mais aussi par l’accès à des postes de direction.
  • D’une certaine façon, les médias sont un reflet des inégalités sociales qui existent dans notre pays. Et bien évidemment, ces inégalités ne disparaîtront pas parce que nos écrans deviendraient tout à coup multicolores.
  • La question déborde largement le champ des médias : tant que nous ne parviendrons pas à définir précisément ce que sont les minorités, ce qui constitue la diversité mais aussi le bien commun de notre société, nous aurons du mal à avancer.
Pour aller plus loin :
- Les actes du colloque "Ecrans pâles. Diversité culturelle et culture commune dans l’audiovisuel", organisé en avril 2004 par le Haut conseil à l’intégration et le CSA.
- Le rapport "La télévision en Europe : régulation, politiques et indépendance", réalisée par l’Open Society Institute (et le Centre de recherches politiques de Sciences-po pour la partie française).

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