Pourquoi le crash du MD 82 de la West Caribbean au Venezuela le 16 août 2005 a-t-il été nettement plus couvert par les médias français que celui du Boeing 737 de la compagnie Helios en Grèce le 14 août, pourtant tout aussi dramatique?
Pourquoi en 2004, les médias français n’ont-ils pratiquement pas rendu compte des 27 accidents d’avions civils survenus au cours de l’année et qui ont causé au total 410 morts (source Organisation de l’aviation civile internationale), à l’exception du crash du Boeing de Flash Airlines en Egypte ? Pourquoi des événements en apparence très similaires ne sont pas traités de la même manière par les médias ? Et plus généralement, qu’est-ce qui fait que parmi les millions d’événements qui surviennent chaque jour, certains - et pas d’autres - retiennent davantage l’attention des médias ?
Les nouvelles sont des construits sociaux
Tout un courant de la sociologie des médias s’est intéressé à cette question, notamment en s’efforçant de comprendre ce qui rend une information intéressante pour les médias, ce que les anglo-saxons appellent la newsworthiness. Ainsi, en 1965, Galtung et Ruge ont identifié pas moins de 12 paramètres en fonction desquels un événement sera plus ou moins pris en compte par les médias. Par exemple, un événement bref, facile à appréhender, ayant des conséquences négatives sur un grand nombre de personnes proches de nous aurait plus de chance d’être couvert par les médias qu’un événement long, de faible amplitude et dissonant par rapport à nos schémas culturels. Autrement dit, nous nous intéressons davantage aux malheurs de nos compatriotes qu’à ceux des populations lointaines (voir mon billet Proche des yeux, proche des coeurs? de janvier dernier).
Ce type d’approche, qu’on pourrait qualifier d’ontologique, souffre toutefois de deux défauts. Sa portée opératoire est faible dans la mesure où les critères retenus peuvent se combiner (et donc se renforcer ou se neutraliser) de milliers de façons. De plus, et surtout, les médias ne sélectionnent pas les événements dont ils rendent compte en fonction de leurs seules caractéristiques intrinsèques. Les nouvelles sont des construits sociaux, travaillés par les médias et les acteurs politiques. On l’a bien vu dans l’extraordinaire théâtralisation du deuil des familles martiniquaises.
Quant à la « loi des séries », dont nous taraudent les médias depuis une semaine, elle n’a aucun fondement scientifique. Elle procède plutôt d’un effet d’optique, lié à un processus psychologique, connu sous le nom d’amorçage (priming) et dont j’ai déjà parlé dans un précédent post.
A partir du moment où notre attention a été attirée sur quelque chose, ce quelque chose va souvent orienter notre vision de la réalité et les jugements que nous sommes amenés à effectuer par la suite. Ainsi, dès lors qu’un premier accident d’avion est survenu à Toronto, les journalistes ont commencé à prêter une plus grande attention à ce type d’informations, notamment en triant les dizaines de dépêches d’agences qu’ils reçoivent quotidiennement. De la même façon, il est fréquent, lorsqu’un crime particulièrement horrible a fait la une des journaux, que d’autres crimes soient signalés dans les semaines suivantes par les médias. Ce qui signifie pas que tout à coup la criminalité a augmenté, mais seulement que les médias prêtent (temporairement) davantage attention à ce type d’événements. Et s’il y a série, ce n’est pas la réalité qui la produit, mais les médias qui la construisent.
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