vendredi 18 février 2005

Alive and Dead


Superbe chronique de Gilles Martin-Chauffier à propos du dernier livre de Gérard Mordillat Les vivants et les morts (Calmann-Lévy).

Extraits:
" Chaque époque cultive ses âneries personnelles. En ce moment, par exemple, on parle à tout bout de champ du "choc des civilisations". C'est Samuel Huntington, un universitaire américain, qui l'a mis à la mode. (...) Le monde chrétien contre l'univers musulman, les Chinois contre les Indiens... Toute l'Histoire, pourtant, n'était déjà faite que de ce genre d'affrontements: Alexandre et les Perses, Rome et l'Egypte, Byzance et les Arabes, Cortès et les ztèques, Victoria et les Zoulous... (...) Il y a aussi la "fin de l'Histoire". Cette fois-ci, elle est sortie du cerveau de Francis Fukuyama, un autre universitaire américain (...) le mur de Berlin est tombé, le communisme est en miettes, le paradis capitaliste s'avance (...) Comme si la disparition du grand frère soviétique avait entraîné celle des pauvres et des riches. Comme s'il n'y avait plus de lutte des classes. Ce genre de délire pour femmes savantes "nouvelle gauche" serait pittoresque s'il ne cachait pas une incroyable indifférence aux ravages que commet le nouvel âge d'or marchand. (...)

(Bien vu! GMC aurait pu ajouter un autre star américaine des sciences sociales, Robert Putnam et ses joueurs de bowling solitaires. En gros: parce qu'ils regardent la télé chacun chez eux, les gens perdent le sens des relations sociales - qu'ils cultivaient autrefois au travers d'une multitude d'activités communes.
Mais continuons de lire GMC).

(Les vivants et les morts de Gérard Mordillat) c'est l'histoire de la Kos, une énorme usine de fibre plastique qui ferme. (...) D'abord, les patrons célèbrent la messe en si: si on gagne en productivité, si on reprend des parts de marché, si on décroche telle subvention, alors tout s'arrangera. Ensuite, un plan social élimine les incontrôlables: les filles jeunes et les vieux, c'est à dire l'avenir et la mémoire. Restent ceux qui ont des enfants et des traites sur leur maison, c'est à dire la peur. Ceux-là sont assignés à résidence et au calme. On gèle leurs salaires, on supprime leurs primes, on annule des vacances. (...) Enfin, c'est officiel: l'usine est fermée. (...) Alors entrent en scène les commissions de surendettement, les services de recouvrement, les avis de contentieux, et patati et patata. On ne peut pas tendre un oeuf, mais on peut le harceler. Les femmes au chômage n'ont qu'à prendre des kilos et du Prozac. (...) Et que se passe-t-il en général? Rien! C'est le moracle du système d'esclavage consenti occidental: la plupart des gens ont toute liberté d'aller où ils veulent sans avoir le premier sou pour filer. Donc ils restent et ils regardent le ciel leur tomber sur la tête."

Vous trouverez la chronique complète dans le n° 2908 (10 au 16 février 2005) de Paris-Match. Oui, le numéro où, en couverture, Véronique Sanson nous dit que "L'amour l'a sauvée de l'alcool" et nous apprend qu'elle a été aux alcooliques anonymes (!). Le même numéro qui nous dit qui, à Hollywood, couche avec qui.
Comme quoi, mais ceux qui lisent un peu le savent, on peut trouver du bon miel dans les pires ruches et les magazines de presse sont plus complexes qu'on ne le dit.

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