En 2002, on avait compté plus de 70 candidats à la candidature. Aujourd’hui, il y en aurait plus d’une quarantaine. Et en dehors des candidats soutenus par les grands partis qui disposent du soutien de nombreux parlementaires et élus locaux, beaucoup ont du mal à réunir les 500 parrainages nécessaires. Pour l’instant, ils n’ont obtenu que des promesses qui ne se transformeront pas toutes en parrainages effectifs (la déperdition étant de l’ordre de 20 à 30%, et peut-être bien plus cette année) avant la date limite du 16 mars 2007
Certaines formations, comme le PS, ont demandé à leurs élus de ne n’apporter leurs parrainage qu’au candidat officiellement investi. On sait aussi que beaucoup de maires de petites communes, élus sur des listes apolitiques, hésitent à parrainer un candidat par peur de subir des représailles (et par exemple de tarder à obtenir les subventions qu’ils attendaient du conseil général pour certains travaux). Le fait que les élections municipales se dérouleront l’an prochain rend la collecte des parrainages encore plus difficile : nombre d’élus n’ont pas envie de s’engager soit par crainte de compromettre leur élection lors des prochaines municipales, soit tout simplement par souci de ne pas provoquer des polémiques ou des débats dans leur commune. Lors de l’élection 2002, on avait observé que Jean-Marie Le Pen avait été incapable d’obtenir des parrainages même dans les zones de force du Front national comme l’Alsace ou le littoral méditerranéen.
Les règles concernant les parrainages
Pour pouvoir se présenter à l’élection présidentielle, il faut être parrainé (la loi dit présenté) par 500 élus, représentant au moins 30 départements ou DOM-TM, sans que plus de 50 puissent venir d’un même département ou DOM-TOM. Les élus autorisés à parrainer un candidat sont les maires, les conseillers généraux, les conseillers régionaux, les députés et sénateurs, les parlementaires européens.
Pour les élections présidentielles de 1965 à 1974, le nombre de parrainages exigé était seulement de 100. Ceci a conduit à une (relative) inflation du nombre de candidatures (de 6 en 1965 à 12 en 1974) et, de plus, à l’apparition de candidats marginaux, peu connus et obtenant des scores extrêmement faibles (6 des candidats à l’élection de 1974 ont obtenu moins de 1% des suffrages exprimés et l’un d’eux, Guy Héraud, seulement 0,06%, soit moins de 20 000 voix sur 24,5 millions de votants). C’est pour contrecarrer cette double tendance, que le législateur a porté en 1976 le nombre de parrainages nécessaires à 500.
Parmi les quelques 40 000 élus susceptibles d’apporter leur parrainage, 17 815 l’ont effectivement fait en 2002 (pour 16 444 en 1981, et seulement 14 462 en 1995).
Pratiquement, les personnes habilitées reçoivent un formulaire de la part du Conseil constitutionnel. Si elles décident de parrainer un candidat, elles peuvent soit le remettre au candidat qui l’adressera ensuite au Conseil, soit le renvoyer directement à ce dernier (qui tient au courant quotidiennement les candidats du nombre de parrainages recueillis en leur faveur).
Après avoir vérifié la validité des parrainages, le Conseil établira la liste officielle des candidats (vraisemblablement le 20 mars, et en tout cas plus précocement que lors des précédentes élections présidentielles).
En revanche, ne seront publiés au Journal officiel que 500 noms de parrains, tirés au sort, pour chaque candidat. De 1988 à 2002, la liste complète des parrains a été affichée dans la semaine précédant le scrutin dans le hall du Conseil constitutionnel. Il n’en sera pas de même cette année, le législateur n’ayant pas reconnu la légalité de cette pratique. Toutefois, cela changera peu de choses à la situation des petits candidats : ceux-ci ne rassemblent en général pas beaucoup plus que les 500 parrainages exigés, et leurs parrains ont de très grandes chances de voir leur soutien connu de tous.
Un dispositif inique ?
Cette situation est-elle scandaleuse et peut-elle s’assimiler à un déni de démocratie ?
Idéalement, on peut certes souhaiter que les électeurs disposent du plus grand choix possible. Théoriquement, il pourrait y avoir jusqu’à 80 candidats (40 000 divisé par 500) si chaque personne habilitée parrainait un candidat. Mais une telle profusion aiderait-elle les électeurs à faire leur choix ?
- Un grand nombre de candidatures n’entraîne pas mécaniquement une plus grande participation à l’élection présidentielle. En 2002, 16 candidats étaient en lice (contre 9 en 1988 et 1995) et pourtant l’abstention a battu tous les records (28,2%, soit presque 7 points de plus qu’en 1995). Ce n’est pas parce que l’offre électorale s’accroît que l’appétence pour la politique fait de même.
- Comme on l’a vu également en 2002, la multiplication des candidatures au 1er tour peut avoir des effets pervers lorsque, en dispersant les suffrages en faveur d’un camp politique, elle aboutit à priver ce camp de représentant au second tour. Et il est vraisemblable que cette mémoire de 2002 joue dès à présent sur les réticences de certains élus à parrainer des candidats ; et qu’elle affectera aussi le comportement des électeurs (le CEVIPOF s’efforce de mesurer cet effet-mémoire dans les enquêtes qu’il mène actuellement).
- Accessoirement, la multiplication des candidats alourdit le coût de l’élection pour la collectivité. Un candidat de plus, et c’est plus de 80 millions de bulletins de vote supplémentaires qu’il faut imprimer (chacun des quelque 42 millions d’électeurs recevant un bulletin à son domicile et pouvant en obtenir un autre dans son bureau de vote). Toutefois, le coût de l’élection présidentielle reste raisonnable: il était de 200 millions d’euros en 2002, soit moins de 5 euros par électeur.
- S’il y a tant de candidats potentiels à la présidence de la république, c’est parce que la campagne présidentielle est devenue la principale tribune de la vie politique française: les candidats potentiels savent que durant cette période l’intérêt pour la politique des citoyens est nettement plus fort, et que la campagne offre une exposition médiatique sans équivalent et diverses facilités aux candidats officiels (153 000 euros d’avance, des affiches et professions de foi prises en charge par l’Etat contrairement aux autres élections, un temps d’antenne gratuit sur l’audiovisuel public et un accès plus aisé à toutes les chaînes de télévision (du fait du régime d’égalité entre les candidats que celles-ci doivent appliquer durant la campagne officielle). Du coup, autre effet pervers, plus il y a de candidats, moins les journaux télévisés sont en mesure de bien couvrir la campagne.
Que faire pour améliorer les choses?
Tout le monde est à peu près d’accord pour dire qu’il faut trouver un équilibre entre équité et efficacité : éviter la multiplication de candidatures fantaisistes tout en permettant aux forces politiques significatives de participer à l’élection présidentielle. Nul ne sait quelles seraient les conséquences d’une absence de Jean-Marie Le Pen le 22 avril, faute d’avoir obtenu les parrainages, mais chacun les craint. Reste à savoir comment faire concrètement.
1) Rendre les parrainages anonymes. Cela permettrait à certains élus de parrainer, en toute discrétion et en toute indépendance, le candidat de leur choix. Mais cette solution n’est pas entièrement satisfaisante dans la mesure où la démocratie exige en principe le plus possible de transparence et où elle assimile les élus à des individus peureux incapables de s’engager ouvertement. Les Verts par exemple y sont hostiles. De plus, garantir un secret absolu des parrainages ne sera pas chose aisée (lorsqu’un manipule des milliers de formulaires, les fuites sont vite arrivées).
2) Faire parrainer les candidats par les électeurs et non par des élus. C’est, à mes yeux, la plus mauvaise solution. A quel seuil fixer le nombre de parrainages nécessaires: 10 000, 100 000, plus ? Comment le Conseil constitutionnel pourra-t-il vérifier rapidement que les signatures sont authentiques ? Enfin, cette solution risquerait de donner lieu à des candidatures de groupes d’intérêts, voire des candidatures purement publicitaires, détournant l’élection présidentielle de son véritable objet. Elle risquerait de favoriser les candidats les plus doués en marketing ou disposant de ressources financières importantes, et pas forcément les plus représentatifs sur le plan politique. Enfin, cela allongerait encore la durée de la campagne.
3) Adopter un dispositif de parrainage panachant un soutien par les partis politiques et les élus. C’est la formule qui a été proposée par le sénateur Masson en 2005. Les candidats seraient soit désignés par les partis politiques ayant obtenu plus de 5% des suffrages exprimés aux précédentes élections (ce qui permettrait à Jean-Marie Le Pen d’être candidat), soit être présentés par 1000 élus, dont 5% de conseillers généraux, régionaux et députés ou sénateurs (ce qui compliquerait considérablement la tâche des candidats potentiels indépendants ou appartenant à des partis marginaux). Cette formule assouplit le système mais ne l’ouvre pas totalement. Obtenir 5% des suffrages exprimés aux élections législatives n’est pas une mince affaire et peut exclure certains partis non négligeables.
4) Passer à un scrutin proportionnel (ou incluant une dose de proportionnelle) pour les élections législatives. Cela permettrait aux partis ayant une existence significative dans notre pays d’avoir une représentation politique et de ne plus utiliser la campagne présidentielle comme moyen d’existence ou de pression en vue, justement, des élections législatives. Cette solution est politiquement la plus difficile à mettre en œuvre. Les grands partis sont évidemment hostiles à un mode de scrutin proportionnel qui affaiblirait leur influence. Et aussi bien le PS que l’UMP brandissent l’épouvantail du Front national qui, en cas de proportionnelle, pourrait constituer le troisième groupe du Parlement. Sans compter les arguments traditionnels contre la proportionnelle : celle-ci empêcherait de dégager une majorité de gouvernement et favoriserait l’instabilité du régime.
5) Recourir à des primaires au sein des grands courants politiques. C’est, à mon avis, la solution la plus réaliste à court terme, du moins s’il s’agit de primaires ouvertes (et non de primaires fermées, réservées aux seuls adhérents d’un parti, comme celles du PS en novembre 2006). Les électeurs de chaque grand courant politique pourraient directement participer à la désignation de leur candidat tout en évitant les guerres fratricides et les candidatures stratégiques visant seulement à obtenir des gratifications en vue du second tour, ou des législatives. De plus, ce processus oblige les partis à faire, relativement démocratiquement, les compromis indispensables à la clarté de la vie politique. Les primaires organisées par la gauche et le centre gauche italiens en 2005 ont montré que les difficultés matérielles inhérentes à ce type d’opération pouvaient être surmontées. Objection principale à ce système : il avantage les partis susceptibles de participer à des coalitions.
En fin de compte, il n’y a pas de solution miracle. Et la (petite) polémique sur les parrainages cache peut-être le vrai problème : celui de la capacité des partis politiques et des candidats, qu’ils soient grands ou petits, sérieux ou farfelus, officiels ou auto-proclamés, à répondre aux attentes profondes d’une partie substantielle de l’électorat.
Pour aller plus loin:
- Guilledoux F-J., Tous candidats! Le poids des petits dans la présidentielle 2007. Paris: Fayard, 2006
- Comment devient-on président(e) de la République? Les stratégies des candidats. Chapitre 2 (La désignation des candidats), p. 36 à 61 + éléments du chapitre 8 (Le coût et le financement des campagnes)
- Illustration: Situation des parrainages au 25 février selon Le Figaro avec la version "live" ICI
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dimanche 25 février 2007
Les parrainages, un déni de démocratie ?
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1 commentaire:
Parrainages et démocratie
Madame Royal, comme M. Bayrou, n’ont pas tardé à critiquer Nicolas Sarkozy sur les parrainages des « petits partis ». Curieuse conception de la part de ceux qui prétendent être les seuls démocrates de cette campagne électorale, donnant dans le même temps des ordres interdisant à leurs adhérents maires, conseillers et députés, de parrainer d’autres candidats qu’eux-mêmes... La déclaration de Nicolas Sarkozy a pourtant le mérite de ne pas avoir été dictée, comme certains ont voulu le faire croire, par un calcul électoral avantageux, mais plus simplement dictée par l’ idée claire de ce qu’est pour lui une vraie démocratie.
En effet, n’existe t’il pas une contradiction entre le fait de se prétendre démocrate, tout en contestant à une partie du peuple le droit de se prononcer à l’occasion de votes aussi importants pour notre pays que ceux d’avril et mai prochains ? Dans une élection, tout courant devrait pouvoir être représenté, qu’on en partage ou non les idées. Un aphorisme de Voltaire résume bien cette idée de respect des autres, de tolérance, qui sont les conditions premières de survie de toute démocratie « Sachez que si je m’emploie à combattre vos idées, je me battrai avec autant de force pour que vous puissiez exprimer les vôtres »...
Il n’y a que les pays totalitaires pour empêcher les minorités de s’exprimer. Les règles d’une élection doivent s’appliquer tout autant à Jean-Marie Le Pen (17°/° de voix au 2e tour de 2002), qu’à Arlette Laguillier, Olivier Besancenot et autres José Bové (entre 2 et 5 °/°) ? Il me semble qu’il ne s’agisse pas tant des personnes elles-mêmes que des idées qu’elles expriment.
La règle actuelle, faite à l’origine pour éviter un trop grand nombre de candidatures fantaisistes, pose évidemment un problème : mal préparée par un Conseil Constitutionnel qui n’en a pas prévu les écueils ressentis aujourd’hui par une majeure partie de l’électorat, à moins peut-être, que la publication des parrainages au Journal Officiel n’ait eu à l’époque pour secret objet d’éliminer plus aisément un ou des adversaires devenus dangereux, ce qui constituerait une faute politique contraire aux fondements de la démoratie ! Ce n’est pas tant Le Pen, ou un autre d’ailleurs, qui importe, mais leurs électeurs, qui représentent une part non négligeable de l’électorat. Comment trouver équitable un règlement qui permette à l’UDF (des élus grâce à une UMP devenue aujourd’hui par tactique politicienne leur adversaire), aux « verts » et aux communistes, de se présenter (chacun entre 2 et 5°/° des voix) et qu’un parti ayant obtenu 5,5 millions de voix (17°/°) ne le puisse ? Ne pas reconnaître ce dysfonctionnement parait être le meilleur moyen d’apporter à court terme des voix aux extrêmes, faisant d’eux, en attendant les prochains scrutins, des exclus, pour ne pas dire des « martyrs ». En politique, le meilleur moyen de s’opposer efficacement à des idées contraires aux siennes, c’est de leur offrir légitimement les moyens d’être exprimées. Comment combattre des arguments si on ne les a ni entendus, ni étudiés ?
La Constitution a fixé le rôle des partis politiques qui doivent concourir à l’expression du suffrage... Si on conteste ce droit à un parti minoritaire, on ne respecte pas une Constitution, pourtant votée démocratiquement, puisqu’on refuse d’octroyer des droits égaux à une partie des citoyens. Ceci a une conséquence redoutable : de nombreux électeurs se tourneront plus tard vers ceux qu’ils considéreront avoir été, comme eux-mêmes, injustement exclus ; d’où ce lit douillet offert aux abstentionnistes et aux extrêmes. Dans une démocratie, il n’y a pas d’électeur à qui l’on puisse légitimement refuser le pouvoir de se prononcer.
Il est aujourd’hui plus que nécessaire de trouver des solutions, ne serait-ce éventuellement que pour pouvoir combattre certaines de celles qui nous seront inévitablement proposées, dans un futur proche. Parmi celles que l’on peut envisager, déjà quelques pistes peuvent être explorées :
-L’étude de faisabilité du « vote obligatoire » ?
-La reconnaissance du vote « blanc », celui-ci représentant un choix légitime d’expression (non loin d’être neutre) ?
-La mise d’une petite part de proportionnelle dans les élections législatives, offrant aux minorités une possibilité d’expression ? (25 Etats de l’Union Européenne ont adopté ce principe. Pourquoi pas la France ? Serions-nous plus démocrates que les autres ?)
-Rendre à nouveau secrets les parrainages, ceux-ci n’engageant que leurs auteurs ? (Il semble à ce sujet qu’il y ait une incohérence : le vote des Français est à bulletins secrets, mais celui des parrainages nécessaires aux candidats pour lesquels ils sont appelés à voter ne l’est pas)...
-La prise en compte du nombre (vérifié) d’adhérents des partis ?
-Le maintien d’un seuil élevé, ou même sa sensible augmentation, du remboursement de l’avance de frais de campagne par l’Etat ?
Qu’il nous soit aussi possible d’ajouter que, si plus de cinq millions de Français ont voté pour J.-M. Le Pen, on se doute bien que la majorité de ces électeurs ne partagent pas les idées les plus extrêmes du Front National : il faut probablement y voir le plus grand nombre, se sentant injustement absent des débats dans un système pervers , ne disposer d’autre moyen de se faire entendre que de voter dans cette direction... Si nous respectons la démocratie, si nous savons en estimer les limites, sans tricher, respectant les idées de l’adversaire avec tolérance, nous réussirons mieux à faire partager nos idées... d’autant plus aisément si celles-ci sont meilleures ! Si nous voulons combattre les outrances des partis extrêmes, sachons faire l’effort de les connaître, les étudier, savoir y discerner ce qui est bon de ce qui ne l’est pas, et ne pas donner le sentiment qu’on condamne à priori tout ce qui ne va pas dans notre sens. Le parti pris de l’intolérance nous condamnera toujours à n’être jamais écouté... et à demeurer inefficace ! Nous voulons bien-sûr avoir pour Président celui que nous estimons être le meilleur, le plus constructif, le plus capable et le plus à même de répondre à nos légitimes ambitions. Sur l’Agora, les Grecs ont rêvé d’une société de maîtres sans esclaves, y percevant un idéal démocratique ; voulons-nous devenir au contraire, oubliant deux mille cinq cents ans plus tard les valeurs de la démocratie, les esclaves d’une société sans maître ?
Yves Desgrées du Loû
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