Lors de chaque campagne électorale, on s’interroge rituellement (mais à juste titre) sur les sondages d’opinion. Quatre questions sont en général discutées : Les sondages sont-ils un outil fiable pour mesurer les intentions de vote ? Ne font-ils pas l'objet d’utilisations stratégiques visant à manipuler les électeurs plus qu’à les informer ? En quoi affectent-ils le déroulement de la campagne électorale ? Enfin, les sondages ont-ils des effets sur les votes des électeurs ?
Dans ce billet, je vais traiter les deux dernières questions. Et je reviendrai sur les deux autres dans un billet ultérieur.
Le rôle des sondages sur le déroulement des campagnes électorales.
Les sondages ont au moins quatre fonctions lors d’une campagne électorale.
1) Ils participent à la sélection des candidats. Les personnalités bénéficiant d’une forte popularité dans l’opinion apparaissent, aussi bien aux yeux des partis qu’à ceux de la presse, comme des candidats légitimes. En 1995, les mauvais chiffres dans les sondages d’Henri Emmanuelli ont été un des éléments qui ont incité les militants socialistes à lui préférer Lionel Jospin (après avoir attendu vainement, tout l’automne 1994, que Jacques Delors, le candidat socialiste le plus populaire dans l’opinion, se déclare). Tout comme les piètres résultats d’Alain Lipietz dans les enquêtes d’opinion de septembre 2001 ont conduit les Verts à remplacer ce candidat, qu’ils avaient pourtant investi, par Noël Mamère.
2) Ils déterminent indirectement l’accès aux médias audiovisuels. La réglementation française prévoit que, durant la pré-campagne, les médias audiovisuels doivent couvrir les candidats de façon "équitable". Comme cette notion n’a jamais été définie précisément par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), la pratique est de considérer qu’il y a équité lorsque le temps d’antenne consacré à un candidat est proportionnel à son importance politique. Et pour déterminer celle-ci, et faute de mieux, les médias audiovisuels s’appuient essentiellement pratique sur les sondages d’intention de vote.
3) Ils aident les candidats à ajuster leurs stratégies de campagnes. Grâce aux sondages (ceux publiés dans les médias ou ceux qu’ils font réaliser à titre privé), les candidats peuvent en effet mesurer l’impact de leur message dans les différentes catégories de la population et réorienter, si nécessaire, leur campagne pour corriger leurs faiblesses. C’est en s’appuyant sur des sondages qui enregistraient une baisse de popularité (notamment chez les jeunes électeurs) qu’Edouard Balladur a été amené à réorienter significativement sa campagne fin février 1995.
4) Enfin, les sondages tissent une sorte de fil rouge qui aide à suivre la dynamique de la campagne, les retombées des actes lourds des candidats ou celles des diverses péripéties du débat électoral. Ils ajoutent à la dramaturgie de la compétition présidentielle, et structurent le récit qu’en font les journalistes et observateurs en tout genre. Cet impact des sondages est souvent critiqué dans la mesure où il fait ressembler les compétitions électorales à des courses de chevaux. L’observation est juste, sauf qu’on peut se demander comment nous ferions pour mesurer la dynamique de la campagne si nous n’avions pas de sondages.
Les effets des sondages sur la vote
Comme souvent en matière d’effets communicationnels, les travaux sur le sujet n’aboutissent pas à des résultats univoques. Au moins quatre types d’effets ont été identifiés par les chercheurs en communication politique.
Il y a d’abord des effets cognitifs : les électeurs tirent des sondages des informations qu’ils utilisent pour déterminer pour quel candidat ils vont voter.
Ces effets cognitifs peuvent conduire les électeurs à une plus forte implication. C’est le cas, lorsque les sondages font apparaître l’élection comme extrêmement disputée ou indécise, ou bien lorsque à partir des résultats des sondages, des électeurs décident de pratiquer un vote stratégique (en votant non pas pour leur candidat préféré, mais pour un autre candidat politiquement proche de lui, dans l’espoir de donner une signification particulière à leur vote et/ou d’adresser un message à leur candidat préféré). Les destins contrastés des candidatures de Lionel Jospin en 1995 et 2002 illustrent bien ces deux cas de figure
Mais en sens inverse, les sondages peuvent conduire à une démobilisation ou un désengagement, soit parce qu’ils semblent indiquer que l’élection est déjà jouée, soit parce qu’ils montrent que le candidat pour lequel on aurait pu voter n’a aucune chance.
Les sondages ont aussi des effets affectifs : ils ont une influence sur les sentiments qu’on éprouve à l’égard des candidats et peuvent jouer, cette fois sur un mode plus émotionnel, sur le vote. Là encore leur influence peut être positive ou négative.
"L’effet contagion" (bandwagon), conduit certains électeurs, généralement les moins politisés, à voter comme la majorité. Ce mécanisme est assez proche de la spirale du silence décrite par Elisabeth Noelle-Neumann, suivant laquelle les personnes minoritaires dans un groupe rechignent, par peur de l’isolement social, à exprimer leur opinion personnelle, et se rangent à l’opinion dominante. Cet effet peut se retourner contre un candidat : si celui-ci commence à reculer dans les sondages, il peut y avoir un mouvement exponentiel de panique qui conduit un nombre croissant d’électeurs à l’abandonner (on parle alors de reverse bandwagaon ou d’effet Titanic).
En sens inverse, on constate parfois un effet de compassion (underdog), parfois appelé "effet Croix-rouge" : ici des électeurs vont venir au secours des candidats ayant de faibles scores dans les sondages en leur apportant leur voix, parce qu’ils estiment qu’on les a trop marginalisés et qu’ils ont droit à une représentation minimale, ou parce qu’ils considèrenet que, si un candidat est mal traité par les sondages, c’est qu’il doit avoir au fond "quelque chose de bien" (on rejoint alors une sorte de théorie du complot).
On peut encore raffiner l’analyse en distinguant les effets des sondages sur le niveau des intentions de vote ou sur les mouvements d’opinion, ou encore en tenant compte du mode de scrutin (un scrutin majoritaire fait en général apparaître des effets plus forts et plus complexes des sondages qu’un scrutin proportionnel).
Pour aller plus loin:
- Comment devient-on président(e) de la République? Les stratégies des candidats.
Chapitre 2 – Section "Les chouchous des médias et des sondages"
Chapitre 3 - Section "La connaissance des électeurs et des comportements électoraux".
- Blondiaux L., La fabrique de l'opinion. Une histoire sociale des sondages. Paris: Editions du Seuil, 1998.
- Cautrès B., "Les électeurs et les sondages". In Perrineau P. (dir.) Atlas électoral. Qui vote quoi, où, comment? Paris: Sciences-po Les Presses, 2007, pp. 119-123.
- Irwin G. A. et Van Holsteyn J. J. M. "Bandwagons, Underdogs, the Titanic, and the Red Cross. The Influence of Public Opinion Polls on Voters". Communication présentée à XVIIIth Congress of the International Political Science Association, Québec, 1-5 August, 2000.
Tags: campagne électorale - élection - présidentielle - sondages - effets
dimanche 4 mars 2007
Le rôle et les effets des sondages sur l'élection présidentielle
Thèmes : Influence des médias, Sondages
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3 commentaires:
Pour une illustration de ce que peuvent produire les sondages avec le "cas Bayrou", je me permets de renvoyer à ce billet de Bastien François:
http://c6r-paris.blog.lemonde.fr/2007/03/03/bayrou-les-sondages-et-la-ve-republique/
http://www.tousmenteurs.fr : c'est l'adresse du site des citoyens qui mentent aux sondeurs.
OPERATION "Les Sondages nous mentent - Nous mentons aux sondeurs" : chaque semaine un candidat est tiré au sort, affiché sur http://www.tousmenteurs.fr et est diffusé aussi largement que possible afin qu'un maximum de sondés mentent et fournissent aux sondeurs la même réponse à la question : "pour quel candidat avez-vous l'intention de voter au premier tour de la prochaine présidentielle"
L'efficacité dépend de l'effet boule de neige qui dépend de votre participation active :
- venez prendre connaissance du candidat des menteurs de cette semaine sur http://www.tousmenteurs.fr
- diffusez son nom et diffusez cette initiative citoyenne
- ... et répondez au VRAI sondage sur les sondages : http://www.tousmenteurs.fr/sondage/mentir.php
déjà 1500 visites en quelques jours et plus de 600 réponses aux sondages : rejoignez le mouvement !
aOui, bonjour, juste quelques mots sur les effets des sondages, juste pour lancer une discussion. En ce qui concerne d'abord l'utilisation d'enquêtes privées par les candidats pour l'"ajustement" ("ajustement" par rapport à quoi ou à qui? L'opinion publique que révèlent les sondages?), un petit exemple emprunté à la campagne de 1995: E. Balladur prit le risque, en je ne sais plus quelle occasion, de se mettre debout sur une table (MAAREK '01), peut-être après s'être dopé au Schweppes (LECH, '01), en réaction à la baisse tendancielle des intentions de vote en sa faveur à partir de la fin février. Plus sérieusement, pour ce qui est de la "fonction" des sondages qui permettrait de suivre la dynamique de la campagne, j'ai l'impression que finalement c'est un peu du déterminisme technologique. En effet, on se demande maintenant comment on ferait pour suivre une campagne en l'absence de tout sondage, mais c'est un peu le même problème que pour les portables. On se demande maintenant avec des yeux effrayés comment on faisait avant pour, par exemle, prévenir qqn d'un contre-temps, ou signaler à sa femme qu'on a crevé en rase campagne. Mais, à l'époque où ces deux technologies n'existaient pas, on ne se posait pas la question. Ce n'est donc pas le moindre effet d'une technologie que, lors de sa diffusion et de son appropriation par le corps social, de se rendre indispensable. Pour revenir aux élections, ce qui m'embête c'est qu'on a l'impression qu'un scrutin ne peut plus désormais avoir lieu sans qu'il soit précédé par des intentions de vote, comme si c'était réellement indispensable de connaître le rapport de force avant de passer, ou pas, par l'isoloir. La procédure électorale, elle, reste inchangée, à peu de choses près, depuis deux siècles dans les gouvernements représentatifs, et sondages ou pas, on peut toujours lui adresser les mêmes griefs. Bon de toute façon on ne pourra jamais savoir de manière scientifique comment étaient les campagnes électorales d'avant la prééminence des sondages, donc à la limite ce que je dis n'a que peu d'intérêt, c'est juste pour lancer une discussion.
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