samedi 7 avril 2007

Machines à voter (suite)

Lors de l’élection présidentielle de 2007, 82 communes représentant presque 1,5 millions d’électeurs, n’utiliseront pas un bulletin en papier et une urne comme de coutume, mais une machine à voter. Cela provoque pas mal de craintes et de protestations et certaines communes, comme celle de Couëron, regrettent déjà de s’être engagées dans cette aventure.



Le 29 mars dernier, le Conseil constitutionnel a publié un communiqué de presse et une note sur les machines à voter. Il rappelle que celles-ci ci sont autorisées depuis 1969 (art. L. 57-1 du code électoral) pour les communes de plus de 3500 habitants. Il indique d’autre part que l'utilisation des machines à voter répond à un triple objectif :
- économique : réduire les coûts d'organisation des élections et accélérer le dépouillement des résultats le soir du scrutin.
- écologique : supprimer les bulletins en papier.
- social : permettre un accès plus aisé aux opérations de vote pour les personnes handicapées.


Petite histoire des machines à voter

Acte 1 : C’est la loi du 10 mai 1969 qui a a autorisé l’utilisation de machines à voter (alors électro-mécaniques) en France. L’objectif alors était de lutter contre la fraude électorale. Les premières machines ont été utilisées lors des élections législatives de 1973, mais au total seulement 600 appareils furent acquis par le Ministère de l’intérieur avant leur mise au rebut en 1988.

Acte 2 : Après cette première introduction avortée des machines à voter, un débat sur le vote électronique se développa à partir du milieu des années 1990 avec l’apparition de l’internet. La société américaine election.com, dont la filiale française était animée par Régis Jamin (qui a aujourd’hui créé Election-Europe.com) fit la promotion du vote électronique et certaines villes, comme Brest, Issy-les-Moulineaux ou Vandoeuvre, s’engagèrent dans cette voie. Cependant, le ministère de l’Intérieur, s’opposa à toute utilisation de l’internet pour les élections politiques, « l’absence de passage dans un isoloir ne permettant pas de protéger l’électeur contre une éventuelle pression extérieure ». De son côté la Commission nationale Informatique et Libertés (CNIL) émit à plusieurs reprises des réserves sur le vote électronique, celui-ci ne permettant pas de protéger les données personnelles (voir son avis du 2 avril 2002 et sa délibération du 1er juillet 2003).

Acte 3 : L’option vote par internet étant écartée, le ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, annonça en septembre 2003, lors du Forum d’Issy-les-Moulineaux, la relance des machines à voter. Dans les mois qui suivirent, trois modèles de machines à voter furent agréés et utilisés par une dizaine de communes lors des élections cantonales, régionales et européennes de 2004. Lors du référendum du 29 mai 2005, 55 communes (dont Brest, Le Havre, Boulogne-Billancourt, Antony) s'étaient ainsi équipées, ce qui représentait 837 bureaux de vote et un peu moins d'un million d'électeurs. Le conseil constitutionnel indique que l’utilisation de ces machines n’a donné lieu à aucun lieu à aucun contentieux. Mais en sera-t-il de même cette année ?


Une opposition montante aux machines à voter

Depuis plusieurs années, des informaticiens et quelques citoyens – au premier rang desquels l’infatigable Pierre Muller de Recul démocratique, désormais dénommé ordinateur-de-vote.org ainsi que le CREIS – se sont mobilisés contre le vote électronique ou les machines à voter. Depuis quelques mois, l’opposition a pris une certaine ampleur et une pétition en ligne pour le maintien du vote papier a été lancée (presque 50 000 signataires à la date d’aujourd’hui).

P&ampeacute;tition pour le maintien du vote papier

Les opposants aux machines à voter réfutent les arguments généralement avancés en faveur des machines à voter.

  1. Ils notent que les économies que génèrent les machines à voter sont loin d’être évidentes. Certes, on pourra imprimer moins de bulletins et les rémunérations des agents communaux seront moins importantes (puisqu’on n’aura pas à les payer pour les longues heures du dépouillement). Mais, l’achat des machines dont le coût est d’environ 4000 euros par unité aura représenté, si l’on compte une machine par bureau de vote, au moins 3,3 millions d’euros (mais il serait en fait proche des 5 millions d’euros).
  2. Ils soulignent que les machines ralentiront sans doute le déroulement du scrutin, les expériences passées montrant que certains électeurs, notamment les plus âgés, ont du mal à pratiquer cette nouvelle façon de voter.
  3. Enfin, on s’interroge sur ce qui se passera en cas de panne, momentanée ou définitive, de machines : cela signifiera-t-il que le vote de certains électeurs ne sera pas pris en compte ; a-t-on prévu des solutions de rechange et des urnes et des bulletins de secours ?
Plus fondamentalement, et c’est là qu’est le vrai problème, les opposants aux machines à voter mettent en doute leur intégrité ou leur fiabilité. Certains évoquent le spectre d’une manipulation (les logiciels des machines à voter pouvant être programmés pour fausser le scrutin). Des informaticiens ont également constaté qu’il était possible de connaître à distance les votes enregistrés par les électeurs. Que cela relève ou non du fantasme du Big brother, un sérieux doute plane sur la capacité des machines à voter à enregistrer correctement les votes.

Pour ces raisons, les opposants aux machines à voter réclament un moratoire et l’ouverture d’un véritable débat sur la question. Certains demandent également que chaque vote effectué sur une machine donne lieu à une trace papier (conservée dans une urne close à des fins de recomptage en cas de contestation) une façon astucieuse de ruiner le principal avantage supposé des machines à voter : les économies de papier.

Pour l’instant, les machines à voter semblent présenter seulement deux avantages :

  • elles suppriment la phase de dépouillement des votes. Et c’est sans doute ce qui a convaincu les maires qui ont acheté des machines car, dans de nombreuses communes, il est de plus en plus difficile de trouver des volontaires acceptant de participer au dépouillement.
  • elles institutionnalisent le vote blanc. La loi de 1969 prévoit en effet que la faculté d’un vote blanc doit être offerte sur les machines à voter. Les machines à voter font disparaître la catégorie « votes nuls « (regroupant, pour le vote papier, les bulletins non conformes tels que les bulletins raturés ou surchargés, ou les bulletins de deux candidats différents dans la même enveloppe) et permettent donc à ceux qui veulent exprimer un vote blanc de se compter en tant que tels sans être confondus avec ceux qui se sont trompés.

Pour s’informer :


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5 commentaires:

Anonyme a dit…

Comme disent les petits jeunes du Syndicat Anonyme :

«...la pollution occasionnée par le bulletin papier paraît dérisoire en comparaison des millions de tonnes de déchets ménagers, en grande partie non recyclables ou non recyclées, qui sont produites par nos concitoyens, vous, moi, chaque année.

La consommation est-elle donc devenue plus utile que l'élection ? Il semble indécent et méprisant pour nos institutions de prétendre sacrifier le bulletin de vote sur l'autel de la couche culotte et du yaourt allégé.»

Anonyme a dit…

La consommation EST l'élection!

Anonyme a dit…

Non, plus sérieusement, cela fait plusieurs années que s'est développé un discours normatif, notamment du côté de la politologie électorale demie-savante, saluant l'arrivée d'un "nouvel électeur" libéré de ses chaînes sociales et partisanes, qui auparavant déterminaient sa manière de voter. Le comportement de ce nouvel électeur est assimilé à celui du consommateur, qui se livre à des calculs compliqués du genre coûts/avantages, pour prendre une décision de vote. Dans cette optique, les sondages jouent un peu le rôle des prospectus de grandes surfaces indiquant le prix des biens à consommer (tel candidat est à 15% donc c'est un bon candidat, par contre celui-là plafonne à 2%, donc il dit n'importe quoi). Dans ce schéma, il devient compréhensible qu'il faill d'urgence offrir à cet électeur de nouveaux "services" de vote, lui permettant d'exercer son devoir civique de manière plus souple, plus fexible, in fine plus ludique. Un pas de plus vers l'infantilisation: avec le dépouillement électronique, un degré de plus dans la dépossession est franchi. "Laissez faire, on s'occupe de tout". Les citoyens sont un peu plus infantilisés. Au fait, c'est moi qui ai écrit le précédent message, c'est juste une erreur de manip'.

Unknown a dit…

1. On peut conter le vote blanc en ajoutant une case vote blanc sur les bulletins.

2. Assesseur responsable des machines aux récentes élections belges j'ai appris que les machines coutent PLUS cher que le dépouillement manuel, notamment à cause d'une maintenance prohibitive.

3. Je suis Ingénieur informaticien. Le vote électronique est indéfendable techniquement. Existe t il un oridnateur qui n'a jamais eu de bugs ni de virus. La démocratie , contrairement à la dictature éclairée, implique une certaine part de désordre et de perte d'énergie. Acceptons ce désordre humain contre l'ordre frois des machines.

Unknown a dit…

Je m'interroge sur le vote électronique. Dans certaines petites communes rurales, les élections sont peu politisées. On vote avant tout pour des personnes. Il existe une culture de la rature, on barre les noms de certains colistiers pour montrer sa désapprobation ou souligner leur impopularité. Est-il courant dans les villes de plus de 3 500 habitants de procéder de la sorte ? Ce type d'expression est-il possible avec la machine à voter ?