vendredi 6 avril 2007

Les Guignols influenceront-ils l'élection?

Après l’élection présidentielle de 1995, on a parfois dit que les Guignols de l’info avaient contribué à la victoire de Jacques Chirac en le rendant sympathique. Aujourd’hui, on s’interroge de la même façon : les Guignols vont-ils influencer l’élection présidentielle en rendant Sarkozy antipathique ?

La caricature politique est une forme particulière de commentaire. Elle tire sa force de son accessibilité (un dessin est plus facilement compris qu’un discours), de l’économie de moyens (une marionnette remplace de longues explications), de la simplification de la réalité (la caricature grossit certains aspects des choses et en oblitère délibérément d’autres). En ayant recours à l’humour, la caricature a une double fonction : elle procure du plaisir et met le public en bonne disposition ; elle autorise des propos qui ne seraient pas acceptables autrement.


Qui regarde les Guignols ?

En cette période de campagne électorale, les Guignols sont regardés chaque jour par 2,5 à 3 millions de téléspectateurs (1). On sait que leur public est assez typé : jeune (plus de la moitié des téléspectateurs ont moins de 35 ans), masculin (plus de 2/3 d’hommes), plus diplômé que le reste de la population (40% ont au moins un niveau Bac + 2), sensiblement plus intéressé par la politique que la moyenne des électeurs.
C’est aussi un public plutôt anti-Sarko : 58,5% de ceux qui regardent Canal Plus entre 19h et 20h30 répondent qu'ils sont tout à fait d’accord avec la proposition "Nicolas Sarkozy est inquiétant" (contre 17,5% de ceux qui regardent le 20h de TF1 et 34% de ceux qui regardent le 20h de France 2 (2).
Mais, l’audience des Guignols va sans doute bien au delà des télépectateurs qui sont devant leur écran, car on se raconte souvent entre amis ou collègues les caricatures ou les séquences les plus marquantes de l’émission.

Les Guignols influencent les gens : oui, mais les autres !
En 1995, lors d’une enquête, on avait demandé aux électeurs français s’ils pensaient que les Guignols avaient une influence sur le vote des gens. Réponse : oui à 56% (22% vraiment et 34% un peu). Mais lorsqu’on avait demandé à ces mêmes personnes si les Guignols avaient une influence sur leur propre vote, on n’avait plus que 12% de oui (3).
Ce résultat est consistant avec de nombreuses enquêtes : beaucoup de gens pensent que les médias ont un fort impact sur les autres, mais pas sur eux-mêmes personnellement.

Ce qui ne signifie pas que les Guignols n’ont aucune influence.
Ils sont une des multiples sources d’information qui contribuent à façonner l’image des candidats. Mais pas la seule : le vote est un processus complexe qui résulte à la fois du milieu social auquel on appartient – et parfois de traditions familiales –, des positions des candidats sur certaines questions qui nous tiennent à cœur ou encore de notre appréciation de leur personnalité en fonction de leurs comportement ou déclarations à des moments clefs de la vie politique.

En général, les informations que nous recevons au cours de la campagne n’affectent que modérément nos intentions de vote. Elles jouent surtout sur le choix d’un candidat à l’intérieur d’un camp politique ou sur notre intention de participer ou non au scrutin.
Nos orientations politiques préalables jouent en permanence comme un puissant filtre qui nous conduit à écarter les informations défavorables aux candidats que nous aimons bien ou à davantage retenir celles qui confortent nos convictions. Mais il arrive parfois qu’un événement particulièrement fort survient lors de la campagne électorale qui nous amène à modifier substantiellement nos évaluations des candidats.

Sources:
(1)Médiamétrie, semaine du 26 mars au 1er avril 2007. Le 28 mars, l'audience a été ainsi de 5,2% (1 point = 560 000 téléspectateurs).
(2) Baromètre politique du CEVIPOF, 4 eme vague.
(3) Sondage Louis Harris réalisé le 9 février 1995 auprès d'un échantillon représentatif des personnes âgées de 18 ans et plus.



Plus sur les images des candidats et les effets des médias?

L'ouvrage Comment devient-on président(e) de la république? Les stratégies des candidats (Robert Laffont).
Notamment chapitre 6 qui analyse comment se forment les images des candidats et chapitre 7 qui explique ce que nous savons (et pourqoi nous en savons si peu) sur les effets des médias.


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7 commentaires:

Luc Mandret a dit…

Et même si Les Guignols influençaient les électeurs, cela serait-il choquant ?

Au moins, leur "influence" ne serait-elle pas moins masquée et perfide que les JT de TF1 ou les mag de M6 ?

Quel journaliste peut très sincèrement dire qu'il n'influence pas ses lecteurs ou auditeurs, rien qu'à partir du choix de ses sujets ?

Anonyme a dit…

"Mais il arrive parfois qu’un événement particulièrement fort survient lors de la campagne électorale qui nous amène à modifier substantiellement nos évaluations des candidats"...alors ce ne serait pas une rumeur ? enfin, il existe bien une rumeur en tout cas, n'est-ce pas, ou est-ce une rumeur ?

PAC a dit…

En général, les informations que nous recevons au cours de la campagne n’affectent que modérément nos intentions de vote. Elles jouent surtout sur le choix d’un candidat à l’intérieur d’un camp politique ou sur notre intention de participer ou non au scrutin.

Je suis un peu étonné de lire ça parce que je ne connais pas d'étude française qui mesure l'influence de la campagne sur le choix du candidat. Les seules études que je connais sont américaines et mettent en avant (à mon grand étonnement d'ailleurs) un vrai impact des médias sur le choix du candidat. Ainsi l'introduction de FoxNews semble avoir eu un réel effet sur le vote Pro-Bush. De même l'abonnement gratuit d'une partie de la population d'une ville au Washington Post a eu un réel effet en faveur des démocrates.

Je serais vraiment très curieux de voir ce que pourrait donner ce type d'étude en France.

More on my own blog

Th. a dit…

La littérature est en effet surtout basée sur des études américaines, britanniques et, plus récemment hollandaises.
Pour mesurer en tout rigueur les effets de la campagne, il faut travailler sur un panel (mêmes électeurs qu'on interroge à plusieurs reprises tout au long de la campagne). La dernère grande étude de ce type en France date de 1988 et a conduit aux résultats que je mentionne (voir mon bouquin). Le CEVIPOF va également analyser un panel en 3 vagues d'avril à mai 2007. A partir du Baromètre politique français (qui, lui,ne repose pas sur un panel), nous avons établi que "les effets chaîne" (le fait de regarder tel ou tel JT) n'étaient ni uniformes (varient en fonction des questions ou des candidats) ni constants dan le temps.
(Voir rapports sur site du CEVIPOF).
Merci pour votre commentaire et bravo pour votre site que j'ai découvert avec intérêt.
Th.V.

Unknown a dit…

tous les matins j'écoute canteloup sur europe 1... et lui aussi ils les épargnent pas !
que c'est bon de vivre en démocratie.....

fred

brouard.vox.com

Anonyme a dit…

A tous ceux qui pensent maintenant a l exil, une recommandation: l' Allemagne, pays dans lequel les Français votaient traditionnellement a droite et qui ont voté massivement à gauche et au centre le 22 avril dernier (37 % ROYAL - BAYROU 28 %) contre N. SARKOZY (25 %) et LE PEN ( 3%).

Les Français qui n ont plus les moyens de déménager devraient eux se souvenir qu' ils sont - en qualité de citoyens de l Union Européennes - protégés la Charte des Droits fondamentaux, officiellement proclamée à Nice en 2000.

Anonyme a dit…

"Mesurer en toute rigueur les effets de la campagne, il faut travailler sur un panel".Admettons, mais alors j'espère que le CEVIPOF a des sous (je me fais trop de soucis, c'est le labo de Sciences Po) pour convaincre financièrement les membres du panel de rester jusqu'à la dernière vague... Ca me fait penser au chercheur qui disait: "Donnez-nous des sous pour qu'on trouve le moyen d'intéresser les gens à la politique!" Bel exemple de "science politique" plus politique que scientifique... Le panel, c'est bien, mais il y a une mortalité telle qu'on est oublié de reconstituer en partie l'échantillon: et dans ce cas, comment garantir que les nouveuax membres du panels sont représentatifs de leur quotas, mais aussi de ceux qu'ils remplacent et qui ont abandonné le panel en cours de route? Par ailleurs, il serait peut-être temps, en matière de recherche en sociologie de la communication politique:
1) de revenir aux fondamentaux (Lazarsfeld)
2) d'employer d'autres méthodes que les sempiternels sondages (sous toutes leur forme) et les méthodes expérimentales psychologisantes.
3) surtout, de cesser de partir sur le terrain avec un a priori ("Il y a une influence des médias, des sondages, des Guignols, des dents blanches de la candidate, des mollets du candidat, etc., et il faut la découvrir"), mais laisser plus de place à l'empirisme, sans postuler qu'il y a des "effets" des médias. Par ailleurs, qu'est-ce qu'un "effet", et qu'est-ce que l'"influence"? Ces termes sont tellement employés par la langue du sens commun qu'ils sont plus un handicap que des concepts ou des notions utiles au chercheur.