mercredi 25 avril 2007

En attendant le grand débat

Le grand débat de l'entre deux tours lors des élections présidentielles françaises est un objet politique rare puisqu’en cinquante ans de cinquième République, nous n’avons eu que quatre débats de ce type (1974, 1981, 1988 et 1995).
Comme on s'en souvient, il n'y avait pas eu de débat en 2002, Jacques Chirac refusant de débattre avec Jean-Marie Le Pen, car "face à l'intolérance et à la haine , il n'y a pas de transaction possible, pas de le débat possible" (1).


La France, pays précurseur des grands débats présidentiels

Notre pays a été, en 1974, l’un des premiers pays à diffuser un débat télévisé entre les candidats à la présidence. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les Etats-Unis n’ont pas été beaucoup plus en avance en la matière. Certes, en 1960, une première série de débats télévisés entre les candidats démocrate et républicain à la présidence, John Kennedy et Richard Nixon, eut lieu en 1960. Mais la pratique fut ensuite interrompue (2) et ne reprit qu’en 1976, non sans difficultés. En Europe, les grands débats télévisés entre leaders de coalitions politiques ne sont pas systématiques (il est vrai que les élections mettent en présence d'abord des partis et non des personnalités comme lors de l'élection présidentielle française). C’est seulement lors des élections de 2005 qu’un débat télévisé fut organisé pour la première fois en Allemagne entre les candidats à la chancellerie. Et en Grande-Bretagne, cette pratique n’est pas encore entrée dans les mœurs bien qu’elle soit régulièrement souhaitée.

Ces débats sont très prisés par les électeurs et recueillent des audiences considérables (23 millions pour le débat de 1974 diffusé il est vrai sur les trois chaînes; presque 17 millions pour le dernier débat en 1995). Ils donnent lieu à des échanges de grande intensité et aussi aux fameuses petites phrases dont on se souviendra longtemps après l’élection.

En 1974, on se rappelle ainsi que Valéry Giscard d’Estaing avait touché un point faible de François Mitterrand en le qualifiant « d’homme du passé ». Visiblement, la formule avait été soigneusement préparée car VGE martela constamment ce thème en reprochant à de nombreuses reprises à son adversaire de se référer à la France d’avant et d’avoir peur de se projeter dans le futur avec des idées neuves.

On a moins noté en revanche un autre moment du débat (29eme minute) lorsque VGE s’adressa à FM en lui parlant de Clermont-Ferrand , « une ville qui vous connaît et me connaît bien ». Mais pourquoi donc mentionner Clermont-Ferrand ? Jean-François Balmer, qui en ce moment « rejoue » avec Jacques Weber les débats de 1974 et 1981 au Théâtre de la Madeleine, m’a récemment donné la clef de cette petite énigme : c’est la ville dont est originaire Anne Pingeot. Et on peut imaginer que, de la part de VGE, l’allusion n’était pas fortuite mais bien destinée à déstabiliser FM (3), ou au moins à lui faire comprendre qu'il était au courant de sa vie affective.

Les règles du débat
Tout débat doit suivre des règles qui définissent son déroulement (ce qu’on appelle généralement le format du débat). Celle-ci concernent notamment :

- la durée globale du débat et de ses différentes composantes ;
- les rôles des différents participants et les modalités de leurs interventions ;
- l’agencement du lieu du débat ;
- et, en cas de retransmission télévisée, les modalités de cadrage. Ainsi en France, les plans de coupe (cadrage sur un candidat pendant que l'autre parle) ont été jusqu'à présent systématiquement refusés lors des débats du second tour.

Dans un débat politique, on pourra distinguer :
- les débatteurs proprement dit (personnalités politiques, candidats),
- les questionneurs (journalistes spécialisés et, parfois, public),
- l’animateur qui s’attache à faire respecter les règles et tout spécialement celles relatives aux temps de parole.

En général, on considère que chacun des débatteurs doit disposer du même temps de parole. C’est en quelque sorte l’application au débat politique d’un des principes de base de toute démocratie : l’égalité des citoyens. Et c’est sans doute pour cette raison que les débatteurs sont attachés presque religieusement à cette règle, même s’il est assez évident que l’impact qu’on peut avoir sur l’auditoire d’un débat ne dépend pas seulement du temps dont on dispose (et qu’une intervention claire et concise peut être bien plus efficace).

Le débat politique à l’américaine : mythe et réalités
Lorsqu'on parle de débat électoral en France, on fait souvent référence au « débat politique à l’américaine ». Ce fut notamment le cas en octobre 2006 lors du débat entre les candidats à la canidature du PS.

Cette référence est doublement rigolote.
Pourquoi devrions-nous prendre le modèle américain comme exemple du bon débat politique ?
Il n’y a pas, aux Etats-Unis, un format unique de débat politique, mais au contraire une multitude de formats (chaque élection donnant lieu à d’âpres discussions sur le bon format), et tous font l’objet de critiques.

Depuis 1948, trois grands types de formats ont été utilisés lors des primaires ou campagnes présidentielles américaines (avec de nombreuses de variations pour chacun):
- le format podium : les candidats sont debout derrière un pupitre ou assis sur des chaises. Ils font face aux à des panélistes (journalistes) et au modérateur (animateur). Suivant les cas, les candidats répondent seulement aux questions des panélistes ou bien peuvent s’adresser les uns aux autres.
- le format dit town meeting: le débat en lieu en présence d’un public (qui souvent peut poser des questions). Les candidats sont généralement debout derrière des pupitres et ils peuvent être autorisés à marcher sur la scène.
- le format table-ronde : les candidats ainsi que l’animateur sont assis autour d'une table et s’adressent directement les uns aux autres.

Quelque soit la formule retenue, les débats politiques sont souvent critiqués. Voici quelques-uns des problèmes identifiés (d’après Diana B. Carlin et Mitchell S. McKinney, 1994) :
- les candidats n’ont pas assez de temps pour répondre de façon substantielle aux questions;
- ils ne répondent pas toujours à la même question, ce qui empêche les comparaisons, ou tout simplement ne répondent pas aux questions posées ;
- les panélistes sont trop intrusifs ou, au contraire, ils n’interviennent pas assez ;
- les panélistes représentent mal les préoccupations de la population ;
- le format question-réponses ne favorise pas un vrai débat.

Les débats politiques sont-ils utiles ?
Oui répondent dans l’ensemble les recherches menées sur le sujet.

- Les débats élèvent le niveau d’information et de connaissance politiques des électeurs.
- Ils accroissent l’intérêt pour les campagnes électorales et la vie politique.
- Ils permettent aux citoyens de comparer les candidats, leurs personnalités et leurs projets, et leur fournissent des éléments utiles pour leur vote.
- Ils rendent la politique plus vivante et plus concrète, voire spectaculaire (au sens premier du terme: qui surprend, étonne et frappe l'imagination)
- Ils facilitent l’acceptation des résultats des élections et, plus généralement, renforcent l’attachement aux principes de la démocratie.

En revanche, les recherches sur les débats politiques suggèrent que ceux-ci n’ont que très peu d’effets sur les intentions de vote, mais tendent plutôt à renforcer les dispositions pré-existantes des électeurs. On a souvent noté que les citoyens qui regardaient les débats politiques télévisés étaient des citoyens plutôt politisés, aux opinions déjà bien établies, tandis que les citoyens qui pourraient être les plus sensibles à l’influence des débats les regardaient en général très peu.

_________________
(1) Meeting de Rennes, 23 avril 2002.
(2) Les présidents sortants rechignant à débattre avec leur adversaire et, aussi, en raison de la règlementation audiovisuelle sur l'égalité entre candidats.

(3) Rapporté également par Ariane Chemin et Géraldine Catalano dans leur ouvrage sur Mitterrand
Une Famille au secret (Stock, 2005)

A voir ou revoir : Les débats du second tour de 1974 à 1995 sur le DVD produit par l’INA.


NB: Ce billet est une reprise de différents billets déjà publiés sur ce blog.

13 commentaires:

Fr. a dit…

L'INA est quand même gonflée de facturer 23 euros pour des images sans droits… Je suis vraiment révolté par les tarifs que l'État pratique sur des fonds qui ne lui appartiennent pas. Heureusement cela va changer pour toute la période couverte par Dailymotion :)

PAC a dit…

J'ai bien aimé ce billet.

Il me semble qu'on juge généralement un débat avec les termes que l'on utiliserait pour un duel. On n'hésite pas à parler de vainqueur ou de vaincu… Mon expérience personnelle m'incline à penser que la désignation du vainqueur n'est pas indépendante de l'orientation politique. Par exemple quelqu'un de gauche déclarera que le candidat de gauche s'est bien battu et a gagné le débat et quelqu'un de droite déclarera le contraire à propos du même débat. Autrement dit, un jugement qui pourrait paraître objectif serait en réalité largement dépendant des préférences politiques du spectateur. Connaissez vous des travaux là-dessus? Je trouverais ça assez amusant de regarder ça. Typiquement, ça devrait pouvoir se faire dans le panel électoral du Cevipof.

PAC a dit…

Je pose beaucoup de questions, mais ça m'intéresserait de savoir quelles sont les études qui ont étudié l'impact des débats sur l'opinion et leur méthode.

S'agit il de questionnaires ayant interrogé les individus sur le fait qu'ils aient regardé le débat et sur le fait que le débat leur ait fait changer d'avis ?

S'agit-il d'études expérimentales étudiant les réactions d'électeurs devant leur poste de télé ?

On peut imaginer que le débat ait un impact sur des gens qui ne le regarde pas, mais qui sont attentifs par le commentaire qu'en font les journalistes le lendemain.

Anonyme a dit…

pac a tout à fait raison! L'orientation idéologique influence le choix du vainqueur. Et puis ce sont souvent les commentaires qui suivent le débat, et non le débat lui-même, qui influencent... Autrement dit, les politistes ne font en réalité que peu de travaux empiriques pour connaître les effets réels du débat. Ils citent des collègues (surtout américains), et des collègues qui voient de l'adhésion au système partout. Comme dans ce billet. Dommage...

Anonyme a dit…

Monsieur l'Administrateur,
Permettez-moi d'attirer votre attention sur mon blog de réflexion qui se propose de réhabiliter le bon sens et la raison dans l'analyse des concepts et des faits.
Avec éclectisme et sans perdre le sens de l'humour.
Actualité oblige, je donne priorité en ces jours à la politique, avec des articles comme "QUAND FRANCOIS ET JEAN-MARIE SONT EN EMBUSCADE", "QUAND LA BAUDRUCHE SE DEGONFLERA" (Marie-Ségolène, bien sûr),
et "QUAND LA GIROUETTE S'EPUISERA" ( Nicolas, cela va de soi).
Mais ce blog comprend aussi des études en cours sur les religions, L'ISLAM, "LES CATHOLIQUES FRANCAIS : UNE ESPECE EN VOIE DE DISPARITION ?", des chroniques sur "LE PEUPLE SOUVERAIN", "VERITES ET VALEURS", "L'INDIVIDUALISME", "LA RAISON", etc.

http://fxgg.over-blog.com

Si ce blog retient votre attention, merci de le faire connaître autour de vous.

Th. a dit…

Merci pour vos commentaires.
Ce blog est un blog de vulgarisation et je ne peux évidemment mettre toutes les références ou développer trop les questions méthodologiques (même si j'adorerais).
Ceci dit, on a en effet peu d'enquêtes empiriques françaises (l'une des plus importantes ayant été effectué par Roland Cayrol ... en 1981).
Sur le plan des dispositifs expérimentaux: nos collègues canadiens ont mesuré l'impact du "débat des chefs" en comparant un groupe de téléspectateurs à un groupe d'électeurs ayant suivi le débat à la radio.
Pour 2007, nous avons introduit plusieurs questions sur le débat du second tour dans le Panel électoral français. Comme il s'agit d'un panel, nous aurons donc, pour les mêmes individus, leurs intentions de vote avant le 1er tour et après le débat et avant le second tour.
Sinon d'accord avec anonyme (le 1er pas le second): ce sont autant les commentaires sur le débat que les débats eux-mêmes qu'il faut étudier. Ce qu'on appelle "les petites phrases" en est l'exemple même: elles sont davantage construites par les commentateurs que les candidats eux-mêmes.
Th.V.

Anonyme a dit…

Merci!

Hotty Segolene Socialiste Français Royal contre le Meilleur Espoir de France Nicolas Sarkozy dans Présidentiel Run-Off...


la pensée absurde -
Dieu de l'Univers dit
la poussée pour une trois semaine de travail de jour

les gens ne doivent pas avoir à travailler
devrait vous être payé pour rester à la maison


la pensée absurde -
Dieu de l'Univers pense
gagnant votre argent est MAUVAIS

tous prix devraient être gardés
le niveau bas personne doit aller sans les choses


la pensée absurde -
Dieu de l'Univers dit
les gens de promesse la lune

n'importe quoi obtenir le vote
juste les permettent de mange alors du gâteau


la pensée absurde -
Dieu de l'Univers dit
toujours freine des affaires

les empêcher de l'embauche
mais faire semblant ils sont vos amis


la pensée absurde -
Dieu de l'Univers pense
que l'haut chômage est bon

grandir les jeunes soucieux
de poussée de population vers le crime


la pensée absurde -
Dieu de l'Univers dit
nie des gens la vérité

le grand berceau vivant à la tombe
prodigue des avantages ne coûtent pas


la pensée absurde -
Dieu de l'Univers dit
a laissé des immigrants dominent

traiter mieux que citoyens
dire au revoir à la culture Française
.

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Anonyme a dit…

alors, disparu ???

Anonyme a dit…

Salut,


En parlant de ca, qui pourrait me dire qui est cette jolie femme sur la photos svp?

Merci!

www.godet-land.miniville.fr/

Anonyme a dit…

M. Vedel, une "étude" de R. Cayrol, quand même... Vous trouvez pas que dans ses nombreux ouvrages, il y a un peu trop souvent des passages qui se ressemblent, parfois au mot près... Par exemple, "les électeurs, comme les médias, sont friands des sondages". Comme s'il avait écrit ses livres en partie en pratiquant le "copier-coller", c'est bizarre... Peut-être qu'il n'a pas vraiment le temps de faire de la science, diriger un institut de sondage avec Bolloré à 44% dans le capital, c'est chaud... En plus, il doit passer souvent sur le plateau de "C dans l'air" (on pourrait rajouter "du temps", "et ça tombe à plat","et c'est très terre-à-terre", etc.), en compagnie de ses collègues C. Rasoir, et P. Giacometti, qu'on a vu manger des petits-fours avec Raffarin dans un palace parisien, lors d'un reportage diffusé sur France 2 le 15 janvier. Et là aussi, la hauteur des vues proférées avec conviction (c'est ça qui est beau)par R. Cayrol empêche le téléspectateur de choisir: rire ou pleurer...?

pound a dit…

シンプル ナチュラル ファッションならシンプルおしゃれ雑記

Domain India a dit…

Ceci est ma première fois que je visite ici. J'ai trouvé tellement de choses intéressantes sur votre blog en particulier sa discussion. Du tonnes de commentaires sur vos articles, je suppose que je ne suis pas le seul à avoir tout le plaisir ici! maintenir le bon travail.