Le vote populaire ne dit pas qui va gagner
Un champ de bataille qui se rétrécit
Le système électoral américain explique également les stratégies de campagne qu’adoptent les candidats. Ceux-ci ont bien sûr intérêt à concentrer leurs efforts sur les Etats qui permettent de gagner le plus de grands électeurs. En théorie, il est possible d’être élu président des Etats-Unis en n’ayant la majorité que dans les onze Etats désignant le plus d’électeurs : Californie (55), Texas (34), New York (31), Floride (27), Illinois (21), Pennsylvanie (21), Ohio (20), Michigan (17), Georgie (15), New Jersey (15), caroline du Nord (15), ce qui permet d’obtenir 271 grands électeurs sur les 269 nécessaires.
En outre, les candidats tendent à délaisser les Etats qui ont une longue tradition de vote en faveur de leur camp (la Californie, l’Etat de New York, et les Etats du nord-est pour les Démocrates), (le Texas et les Etats du Sud et Mid-West pour les Républicains). Ils focalisent leurs activités de campagne sur les Etats dont le vote est incertain. En 2004, ils ont ainsi consacré 54% de leurs investissements en publicité télévisée et 45% de leurs déplacements à trois Etats (Floride, Ohio, Pennsylvanie) qui ne représentent pourtant que 14% de la population totale (Source : Who picks the President ? A report by FairVote – The Center for Voting and Democracy’s). Depuis le milieu des années 1990, le nombre des Etats considérés comme incertains et où se déroule en conséquence l’essentiel de la campagne (dits battleground, toss up ou swing States) s’est réduit et est passé d’une vingtaine à une douzaine ( Source : Congressional Quarterly’s Guide to U.S. Elections, 4th edition).Carte montrant les Etats où les dépenses en publicité ont été les plus fortes lors de la campagne 2004. Source: FairVote.
La polarisation entre Etats rouges et Etats bleus : un mythe ?
Il semble donc qu’au cours des deux dernières décennies, les Etats-Unis se soient davantage polarisés avec d’un côté des Etats fortement démocrates (Blue States) et d’un autre côté des Etats fortement républicains (Red States). Ce clivage géographique (opposant les régions industrielles démocrates et les zones rurales républicaines) reflèterait les différences sociales, religieuses ou raciales des populations concernées. Cette polarisation croissante peut apparaître surprenante dans la mesure où de nombreuses études ont montré que les électeurs américains tendent à devenir plus modérés et être moins attachés aux partis républicain et démocrate. Dans Culture War ? The myth of a Polarized America (New York: Pearson Longman, 2005), Morris Fiorina a d’ailleurs remis en cause l’idée d’une polarisation croissante. Je ne peux détailler toutes ses analyses ici, mais pour l’essentiel Fiorina nous dit qu’en termes de valeurs et d’attitudes politiques (mais pas religieuses) les Américains sont moins divisés qu’on ne le dit et que les clivages partisans ne s’observent véritablement que parmi les élites politiques et les citoyens engagés. Si l’on a l’impression d’une polarisation, ce serait surtout un effet du découpage des circonscriptions électorales (le gerrymandering) qui accentue artificiellement la séparation entre électorats démocrates et républicain. Incidemment, le mythe de la polarisation aurait été soutenu par les médias en ce qu’il simplifie et dramatise la couverture de la vie politique, présentée comme un affrontement entre les deux grands partis.
L’ouvrage de Fiorina a suscité de vifs débats et de nombreuses études sur le même thème. Comme il arrive souvent dans les recherches en sciences politiques, certaines enquêtes ont abouti à des conclusions sensiblement différentes et confirmé au contraire la tendance à une polarisation politique croissante des Etats-Unis (en termes géographiques, sociaux, et même religieux). Pour un bon point sur la question, on pourra consulter le numéro spécial de The Forum, A Journal of Applied Research in Contemporary Politics, Vol. 3, Issue 2, (July 2005) dont le sommaire est consultable ICI. (Voir en particulier l’article de Alan Abramowitz et Kyle Saunders, l’un des meilleurs à mes yeux).