"Je souhaite donc que le cahier des charges de la télévision publique soit revue et que l’on réfléchisse à la suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques qui pourrait être financé (sic) par une taxe sur les recettes publicitaires accrues des chaînes privées et par une taxe infinitésimale sur le chiffre d’affaire de nouveaux moyens de communication comme la téléphonie mobile et l’accès à Internet.
Voilà une révolution qui, en changeant le modèle économique de la télévision publique, changera du tout au tout la donne de la politique culturelle dans la société de communication qui est la nôtre".
Nicolas Sarkozy, Conférence de presse du 8 janvier 2008.
1) Une annonce inattendue, mais une vieille idée (de gauche)L’annonce de NS a été une surprise et dans les débats actuels sur le financement de l’audiovisuel, on envisageait plutôt une augmentation des ressources publicitaires des chaînes publiques. En témoigne d’ailleurs cette dépêche boursière du 8 janvier à 9 h43 : UBS abaissait sa recommandation sur TF1 d'acheter à neutre, ainsi que ses objectifs de cours sur TF1 et M6, la banque estimant que les perspectives publicitaires des chaînes étaient moroses.
Mais supprimer toute publicité sur les chaînes publiques n’est pas un projet nouveau, et c’est même un vieux projet de gauche.
- En 1989, Michel Rocard, alors premier ministre, souhaitait mettre en œuvre cette réforme en la finançant notamment par une taxe de 3% sur l’ensemble des investissements publicitaires, médias et hors-médias. (MR vient de déclarer ce matin que François Mitterrand avait refusé cette réforme sur le conseil de son ministre des Finances, Pierre Bérégovoy, qui pensait quelle entraînerait à terme une hausse de la redevance et donc de l’inflation).
- En septembre 1999, une centaine d’intellectuels et de professionnels de l’audiovisuel (dont Pierre Bourdieu) signaient une lettre ouverte proposant une suppression totale de la publicité sur France Télévision.
- En 2002, à la suite des travaux d’une commission présidée par Jean Martin, diverses sociétés d’auteurs dont la SACD, la SCAM et la SRF, s’étaient également prononcées pour la suppression de la publicité.
2) Le modèle britannique: un bon modèle?Parmi les grandes chaînes publiques de télévision en Europe, seule la BBC fonctionne aujourd’hui sans publicité. Mais le financement de la BBC reste problématique et fait l’objet de constants débats depuis plus de vingt ans (cf. le rapport Peacock de 1985). Si la BBC parvient à fonctionner c’est grâce à une redevance élevée (135,50£ actuellement avec une augmentation régulière planifiée jusqu’à 148£ en 2012) et grâce aux ressources qu’elle tire de la vente de programmes et de services (20% de son budget en 2007, la redevance représentant 74%, le reste provenant de dotations budgétaires). Le BBC Trust mène depuis plusieurs années une politique de réduction de ses coûts. Enfin, la programmation de la BCC a été souvent critiquée au cours des dernières années, notamment pour ne pas prendre assez en compte les besoins de la population.
Si la Grande-Bretagne nous fournit un exemple intéressant, c’est moins celui de la BBC que celui de Channel Four dans sa première version (1982-1990). Cette chaîne alors sans publicité et entièrement financée par les autres chaînes privées du réseau ITV avait la mission de proposer une programmation alternative en visant notamment les minorités de la société. Et pendant ses dix premières années, elle a fait preuve d’une grande innovation et liberté créatrice.
3) Une bonne nouvelle pour les télévisions privées ?Qui va profiter des investissements publicitaires qui vont aujourd’hui aux chaînes publiques ?
- Une partie seulement de ces investissements va se reporter sur d’autres vecteurs. Ce qui intéresse surtout un annonceur à la télévision, c’est de toucher la plus grande audience possible (notamment aux heures de grande écoute). Investir davantage sur TF1 ou M6 ne sert à rien si on ne peut toucher les téléspectateurs qui regardent France 2 au même moment.
- TF1 et M6 ont des espaces publicitaires limités par la règlementation (6 mn en moyenne journalière avec un maximum de 12 mn par heure). Certes, elles pourront augmenter leurs tarifs, mais il faudrait que la demande pour leurs écrans augmente elleaussi. Or, dans un contexte de crise économique larvée, les annonceurs tendent actuellement à réduire leurs budgets publicitaires grands médias.
Pour que TF1 et M6 puissent bénéficier de façon optimale de la suppression de la publicité sur les chaînes publiques, il faudrait augmenter le plafond horaire moyen autorisé par jour (voire le supprimer, comme le permet la directive TSF) et autoriser une seconde interruption publicitaire durant les films (voire une troisième puisque la directive TSF autorise une interruption toutes les 35 mn pour un film).
Si report il y a, il se fera sans doute vers les nouvelles chaînes de la TNT, l’internet et sous la forme d'un retour vers la presse écrite et la radio (qui ont vu leurs ressources publicitaires baisser ou stagner du fait de l’ouverture de la publicité télévisée aux grands distributeurs).
Il n'est pas sûr que TF1 et M6 en profitent à plein.
(On peut constater qu’après avoir spectaculairement bondi le 8 janvier (TF1 est passé de 16,5 à 18,36 à la clôture), les cours de ces deux sociétés ont baissé presque dans la même proportion aujourd’hui 9 janvier).
4) Comment financer la manque à gagner pour l’audiovisuel public ?Les recettes publicitaires de France Télévision avoisinent les 840 millions d’euros. Où et comment trouver l’équivalent de cette somme?
Les taxes :-
La taxe sur « les recettes publicitaires accrues des chaînes privées » est la première solution envisagée par NS (on notera au passage le très ambigu « accrues » : l’assiette de la taxe portera-t-elle sur toutes les recettes ou seulement sur leur éventuelle augmentation à venir). Mais celle-ci ne pourra couvrir au mieux qu’une partie du manque à gagner, sauf à fixer un taux excessivement élevé.
Question en suspens : inclura-t-on dans l’assiette de cette taxe les autres médias susceptibles de bénéficier de la suppression de la publicité à la télé ? (Cela m’étonnerait qu’on veuille énerver la presse écrite avec cela).
-
La taxe sur les chiffre d’affaires des opérateurs de téléphonie mobile et les FAI: là, il y a de quoi faire si l’on considère le chiffre d’affaires des opérateurs de téléphonie mobile (autour de 17 milliards d’euros) et leurs marges bénéficiaires confortables. En revanche, ce n'est peut-être pas une bonne idée de taxer les FAI si l’on veut encourager la diffusion de l’internet.
Si je fais une estimation à la louche : le chiffre d’affaires cumulé des chaînes de télévision privées, des opérateurs de téléphonie mobile et des FAI se situe entre 23 et 25 milliards d’euros. Il faudrait donc taxer à 3,5 ou 4%.
Augmenter la redevance : Cette option est pour l’instant écartée par l’entourage de NS (cf. l'intervention à Europe 1 ce midi de son conseiller spécial, Henri Guaino, qui a joué un grand rôle dans le concept de politique de civilisation, dont la suppression de la publicité fait partie). Mais elle m’apparaît inéluctable (et on peut compter sur le lobbying des acteurs économiques : à service public, financement public).
Une réduction du budget l’audiovisuel public:Si l’on ne veut pas taxer trop lourdement les opérateurs privés et si l’on ne veut pas augmenter la redevance, c’est la troisième possibilité qui m’apparaît, elle aussi, inéluctable (et l’exemple de la BBC va dans ce sens).
Elle peut prendre la forme d’une politique de réduction des coûts au sein de chaque chaîne publique, d’un regroupement de chaînes au sein du groupe France télévisio, ou - plus explosif et pour l’instant politiquement difficile - d’une "réduction du périmètre de France Télévisions" comme on dit, c’est à dire de la privatisation d’une de ses chaînes.
5) Moins de publicité, donc de meilleurs programmes ?C’est le raisonnement implicite non seulement de Nicolas Sarkozy mais aussi de tous ceux qui dans le passé ont adhéré à ce projet.
Ce raisonnement fonctionne en fait en deux temps : Pas de la publicité, donc pas de course à l’audience; pas de course à l’audience, donc possibilité d'une programmation plus volontariste poursuivant des buts élevés.
Mais ces deux relations, surtout la première, sont loin d’être évidentes :
- La suppression de la publicité sur les chaînes publiques ne va pas nécessairement abstraire celles-ci de la logique de l’audience. Les taux d’audience ne sont pas seulement des indicateurs économiques servant à maximiser les ressources publicitaires; ce sont aussi des indicateurs politiques qu’on utilise (à défaut d’autres) pour mesurer la réponse à «la demande» ou la satisfaction des «attentes» des téléspectateurs. Même sans publicité, les chaînes publiques (du moins F2 et F3) chercheront toujours à toucher des audiences significatives pour établir leur légitimité et démontrer qu’elles sont utiles au public et font du bon travail. Que dirait-on de France 2 si, aux heures de grande écoute, elle n’était regardée que par moins d’un million de téléspectateurs ?
- La programmation d’une chaîne de télévision n’est pas seulement fonction des taux d’audience que peuvent réaliser ses émissions : elle dépend aussi de la réglementation et des contraintes imposées par les pouvoirs publics en matière de programmation et de production.
- Enfin, une chaîne publique qui n’aurait pas d’objectifs d’audience ne sera pas forcément une chaîne de qualité. Cela dépendra d’abord des moyens financiers dont elle dispose et ensuite des talents de ceux qui la font.
NB: Les liens des références seront bientôt mis en ligne.A venir:6) Vers une plus grande dépendance de l’audiovisuel public à l’égard du gouvernement.
7) Qu'est-ce que le service public dans l'audiovisuel?