vendredi 30 mars 2007

Les médias et l'élection présidentielle

Le rôle des médias dans l'élection présidentielle 2007: quels effets sur les évaluations politiques des électeurs?

C'est le thème qui sera débattu le 2 avril de 17h à 19h dans le cadre des Lundis du CEVIPOF avec:
- Etienne Moujeotte, vice-président de TF1,
- Denis Muzet, directeur de l'Institut Médiascopie et de l'Observatoire du Débat public,
- Thierry Vedel,
chercheur au CEVIPOF.
Débat animé par Pascal Perrineau, directeur du CEVIPOF.

Cela se passe au CEVIPOF, 98 rue de l'Université, 75007 Paris. (Métro: Solférino). Ouvert au public mais il faut s'inscrire auprès de Marcelle Bourbier.

Illustration: couverture de l'Atlas électoral, qui vote quoi, où, comment..., ouvrage collectif des chercheurs du CEVIPOF.

A venir sur ce blog:
- Les Guignols de l'info feront-ils l'élection?
- Les théories sur le pouvoir des médias: pourquoi nous savons si peu de choses sur l'influence des médias.

Sciences-po: de Shanghai au bordeaux

A suivre: Richard Descoings, le directeur de Sciences-po, et l'auteur de Sciences-po, de la Courneuve à Shanghai (Presses de Sciences-po, 2007), ouvrage dans lequel il retrace l'histoire et les transformations de l'école de la rue Saint-Guillaume et propose des réflexions sur le futur de l'éducation, vient d'ouvrir un blog personnel.

On lira avec intérêt les commentaires sur les premiers billets de RD qui d'emblée se sont portés sur la place particulière de Sciences-po dans le système universitaire, mais aussi sur le devenir des jeunes diplômés de Sciences-po.


A quoi mène Sciences-po? A plein de choses ... y compris l'élevage de vins et d'eau de vie.
Ce samedi 31 mars a lieu le 5eme salon des anciens Sciences-po producteurs de vin (ils seront 23). Dégustation ouverte au public de 10h à 18h 30 au 27 rue Saint-Guillaume, 75007 Paris. Mon préféré : Le Chateau Phélan-Ségur, un élégant Saint-Esthèphe aux notes épicées mêlant cannelle, confit de figue et violette des bois, produit par Laurent Gardinier (promo 1989).

mercredi 28 mars 2007

Où sont donc passées les grandes affiches politiques?

Si vous ne l'avez jamais vue, vous en avez au moins entendu parler. "La force tranquille" est sans doute l'une des plus célèbres affiches politiques françaises et a été déployée sur des milliers de panneaux commerciaux lors de la campagne présidentielle de 1981. Mais depuis la campagne de 1995, les grandes affiches politiques ont quasiment disparu. Voici pourquoi.

Les affiches sont, à côté des meetings, l'un des plus anciens outils de propagande politique. Au 19eme siècle, elles étaient souvent monochromes et surtout composées de textes. L’art de l’affiche politique s’est ensuite sophistiqué - au moins sur le plan technique - à partir de la première guerre mondiale. Les affiches ont davantage fait appel à des dessins et illustrations, se sont appuyées sur des typographies et des couleurs choisies pour frapper l’œil, et ont été organisées autour de slogans (1). Les affiches utilisées lors des campagnes présidentielles sont d’une grande sobriété. Elles font essentiellement apparaître la nom du candidat, sa photo et son slogan et ce contenu est décliné sous trois formes.


Trois types d'affiches lors des campagnes présidentielles

Il y a d’abord les grandes affiches destinées aux panneaux commerciaux (généralement 3X4 mètres). Constituant de la publicité politique, cet affichage commercial n’est autorisé que durant une partie de la campagne. Le code électoral (article 52-1) interdit en effet la publicité politique sur toute forme de support durant les trois mois précédents précédant le 1er du mois du scrutin (concrètement depuis le 1er janvier 2007 pour l'élection en cours). Ne pouvant plus y recourir dans les derniers semaines de la campagne, quand ils pensent que ce serait le plus efficace, beaucoup de candidats préfèrent s’abstenir (d'autant plus que la règlementation sur le financement des campagnes, en instaurant puis abaissant des plafonds de dépenses, a obligé les candidats à diminuer leurs dépenses à partir de 1988). Seule Arlette Laguiller s'est offert en décembre 2006 une campagne d'affichage commercial, comme elle l'avait d'ailleurs fait en en 1995 et 2002, sur 15 000 emplacements pour un montant estimé d'1 million d'euros (soit presque le tiers de son budget total de campagne).














Durant la campagne électorale officielle (quinze jours avant le scrutin), les candidats ont également la possibilité d’apposer deux affiches sur les panneaux officiels situés devant chaque bureau de vote. L’une, au format 841 X 594 millimètres, est destinée à faire connaître leur programme ; l’autre, au format 297 X 420 millimètres, à annoncer leurs réunions publiques. L'impression et les frais d'apposition de ces affiches dites officielles sont remboursés par l’Etat, à condition qu'elles soient de qualité écologique (2).


Tenir les murs

Il y a enfin l’affichage dit sauvage, hors les panneaux commerciaux ou officiels. Celui-ci est en principe interdit durant les trois derniers mois de la campagne, mais il persiste néanmoins. L’impact de cet affichage sauvage, effectué en général par des militants bénévoles soutenant les candidats, est très incertain. Les affiches apposées de cette façon ont une durée de vie très courte, car elles sont fréquemment recouvertes ou arrachées par les adversaires. Celles qui subsistent sont parfois détournées par des inscriptions ou des papillons ajoutés qui modifient le sens du slogan. Ainsi, en 1981, l’affiche de VGE « Il faut un Président à la France » a inspiré nombre de plaisantins ou d’opposants, le détournement le plus simple consistant à ajouter une bulle faisant dire « Mitterrand » au Président sortant. Enfin, l’influence des affiches sur les électeurs n’a jamais été démontrée.
Comment alors expliquer la persistance de l’affiche sauvage ? Celui-ci constitue sans doute un rite politique qui remplit des fonctions symboliques et socio-psychologiques. « Tenir les murs d’un quartier », suivant la formule utilisée par les afficheurs politiques, c’est marquer son territoire et ses zones d'influence et indiquer à ses adversaires sa puissance militante. L’affichage sauvage constitue également une sorte d’épreuve d’initiation à laquelle on confronte les nouveaux adhérents d’un parti pour tester leur engagement et leur détermination. Il contribue enfin à renforcer la cohésion et la solidarité des équipes militantes sur le terrain.

_______________________________
(1) Quatre codes définissent au total une affiche : le code chromatique (couleurs) ; le code typographique (caractères du texte) ; le code photographique (adrage de la photo) ; le code morphologique (mise en page globale). Voir : Gourevitch J.-P., L'image en politique. De Luther à Internet et de l'affiche au clip. Paris: Hachette, 1998.
(2) Arrêté du 2 mars 2007. L'impression des grandes affiches officielles est remboursée pour un montant maximal de 0,18 euro par unité et leurs frais d'apposition pour 2,20 euros par unité.

A signaler:
- "Je m' voyais déjà". L’image du candidat à l’élection présidentielle, 1848–2007. Une exposition qui présente des affiches politiques et montre notamment les figures des candidats qu'elles offrent: "le tribun, le père, le chef, le professeur, l’ami(e) et la star". Au Passage de Retz, du 22 mars au 13 mai 2007.
(Le commissaire de cette exposition est Laurent Gervereau à qui l'on doit de nombreux ouvrages sur les affiches politiques, notamment le très beau Terroriser, manipuler, convaincre! Paris: Somogy, 1996).

- Une très intéressante (et engagée) analyse rétrospective d'affiches politiques sur le blog ulfablabla ( à qui j'emprunte l'affiche de Bové détournant malicieusement celle de Le Pen - et qui, semble-t-il, n'est pas une affiche officielle de Bové).


Ce texte est un extrait de Comment devient-on président(e) de la république? Les stratégies des candidats (Robert Laffont).
Vous trouverez d'autres éléments sur les moyens de communication utilisés par les candidats pour diffuser leur message dans le chapitre 5 de cet ouvrage.

lundi 26 mars 2007

Comment trouver le programme de Nicolas Sarkozy?

NB: Ce billet a été publié le 26 mars. Depuis le 30 mars, le programme de Nicolas Sarkozy, organisé en 15 grandes propositions (de "Mettre fin à l'impuissance publique" à "Fiers d'être Français") est apparu sur son site web. Il est téléchargeable en format PDF ICI.

Sur internet, on trouve tout ... ou presque.

Que se passe-t-il, par exemple, lorsqu'on cherche le programme des quatre candidats actuellement en tête dans les sondages sur leurs sites respectifs?

Sur le site de Ségolène Royal, on trouve aisément les 100 propositions du pacte présidentiel de la candidate, regroupées en 9 ensembles thématiques (de la confiance retrouvée à une république nouvelle). Les propositions sont disponibles en ligne ou en téléchargement en format PDF et toutes présentées selon le même schéma: remontée des débats, enjeux (en une ou deux phrases) et les propositions proprement dites, numérotées de 1 à 100.

Sur le site de François Bayrou, en cliquant sur la bandeau de la première page, on accède à plus d'une centaine de mots-clefs, qui permettent d'accéder aux propositions correspondantes du candidat. Dans la plupart des cas, il s'agit d'extraits de discours (et on peut parfois visionner la vidéo correspondante). Apparemment cette liste de mots-clefs évolue encore (les dernières propositions ajoutées étant soulignées). A noter: la possibilité de commenter chaque proposition (la plus commentée étant le mot-clef Ecole avec 469 commentaires au 26 mars 18h, suivi par le mot-clef Homoparentalité avec 376 commentaires, Le Liban n'obtenant lui que 5 commentaires).

Sur le site de Jean-Marie Le Pen, la page d'accueil propose d'emblée une liste de 13 discours programmatiques. Le bandeau supérieur fournit en outre un lien vers Le programme qui se présente sous la forme de 25 imagettes thématiques (dont l'ordre est très intéressant puisque cela commence par Immigration, Sécurité et justice, Sécurité sociale, Santé, Famille et enfance). Chaque imagette ouvre sur un long texte toujours organisé en deux parties: le constat; les mesures. On notera que le coût de celles-ci est systématiquement mentionné.


Nicolas Sarkozy n'aurait-il pas de programme?

Sur le site de Nicolas Sarkozy, la recherche du programme du candidat est, de prime abord, plus décevante. Le bandeau supérieur du site comporte bien une rubrique "Ce que je vous propose". Celle-ci ouvre sur un série de 9 engagements formulés sous la forme "Je veux être le Président... (du pouvoir d'achat, de la valeur travail, etc.). On peut alors télécharger une double page PDF qui, après une phrase rappelant l'orientation du candidat, propose pour l'essentiel de nombreux, mais bien courts, extraits de discours du candidat (certains remontant à 2004).
Il s'agit plus de grands principes que de propositions ou de mesures telles que celles présentées par les trois autres candidats. Nicolas Sarkozy n'aurait-il pas de programme?

En fait, les choses sont un peu plus compliquées. Il y a bien un programme, mais on trouve celui-ci non pas sur le site de Nicolas Sarkozy mais sur le site de l'UMP. Et pour y arriver, il faut un peu fureter: d'abord cliquer dans la colonne de droite sur le lien "Législatives 2007. Le projet, les candidats"; puis, dans la page qui s'ouvre, cliquer sur le lien "Le projet" dans le bandeau supérieur. On peut alors télécharger un document PDF (ou en format e-book) présentant en 70 pages "Le contrat de législature de l'UMP pour 2007-2012". Un chiffrage du projet en deux pages est également proposé.

Ce surf peut apparaître déroutant à ceux qui, ayant aisément accédé aux programmes des autres candidats, voudraient faire de même pour Nicolas Sarkozy. Mais, au fond, ne reflète-t-il pas la conception gaulliste de la fonction présidentielle: le Président est celui qui indique les grandes orientations, à charge pour les partis de mettre en oeuvre les mesures nécessaires? On attendait Nicolas Sarkozy comme un Président capitaine. Peut-être sera-t-il finalement un Président arbitre...

Addendum du 28 mars: Plusieurs lecteurs font remarquer, à juste titre, qu'il existe un Abécédaire des propositions de Nicolas Sarkozy, qu'on peut consulter soit de A à Z, soit au hasard. La présentation des propositions se rapproche ici de celle de François Bayrou et ouvre sur des extraits de discours ou d'interviews. Mais la bizarrerie subsiste: pourquoi mettre les propositions de Nicolas Sarkozy seulement sur le site de l'UMP et non sur le site du candidat?


PS: Quant à ceux qui ne veulent pas se fatiguer à naviguer entre plusieurs sites, ils trouveront sur l'internet plusieurs comparateurs de programmes, comme celui proposé par Votons.info, à la fois simple, pratique et très bien documenté.
Ou encore
celui du journal Le Monde, plus sophistiqué dans la forme, mais qui ne permet de comparer que deux candidats (et non plusieurs comme Votons.info).
Et ceux qui sont très pressés, et d'humeur blagueuse, peuvent aller sur comparer.com qui compare les candidats sur un mode express et binaire (pour ou contre) en fonction de leurs positions sur quelques questions plus ou moins essentielles (de l'autorisation de fumer dans les lieux publics à la discrimination positive ou la peine de mort en passant par la légalisation des drogues douces).

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Les stratégies de campagne décryptées (publicité)


Le mercredi 28 mars de 8h30 à 10h: Débat autour du livre Comment devient-on président(e) de la République, en présence de l'auteur et avec:

- Jacques Gerstlé (Université de Paris 1),
- Patrick Jarreau (Le Monde)
- Philippe Lapousterle (conseiller communication de François Bayrou).

Cela se passe au CEVIPOF, 98 rue de l'Université, 75007 Paris.
Métro : Solférino
(Invitation ICI)

Au plaisir de vous rencontrer à cette occasion.

dimanche 25 mars 2007

A quoi servent les meetings?


Les réunions publiques, de la rencontre entre un candidat et quelques dizaines d’électeurs dans les préaux d’école aux grands meetings rassemblant plusieurs dizaines de milliers de personnes en passant par les banquets républicains ou les prises de parole devant un groupe de travailleurs, font partie du répertoire de la communication politique depuis plus d’un siècle et demi.

Toute campagne présidentielle comprend de nombreuses réunions publiques et tous les candidats consacrent des budgets parfois substantiels à cette forme de communication. Lors de la campagne présidentielle de 2002, les réunions publiques ont représenté en moyenne 28% des dépenses des candidats, et parfois bien davantage (40 % ou plus pour Arlette Laguiller, ce qui surprend peu, mais aussi Jacques Chirac et Christine Taubira) (1). Certains candidats, notamment les petits, participent à plusieurs dizaines de meetings dans les deux derniers mois de la campagne.


L’évolution des meetings lors des présidentielles

Depuis une quarantaine d’années, on peut noter deux tendances dans la forme des réunions publiques organisées lors des présidentielles.
Jusqu’à la fin des années 1980, les grands candidats ont privilégié les très grands meetings rassemblant jusqu’à 40 ou 50 000 personnes (notamment dans des stades). En 1974 et 1981, une véritable compétition, suivie de semaine en semaine par les médias, s’était même instaurée entre Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, le nombre de participants étant vu comme un indicateur de la popularité de chaque candidat.
Depuis 1988, les candidats tendent à organiser des réunions de taille plus réduite. Plutôt que le nombre de personnes assistant à la réunion, ils s’efforcent de mettre en valeur le thème de leur intervention, chaque réunion permettant de décliner, en fonction de la ville ou de la région où elle a lieu ou bien en fonction de la composition de l’auditoire, un aspect particulier du programme du candidat (2). La législation sur le financement des campagnes est également un facteur qui a conduit certains candidats à réduire le nombre de leurs meetings. Les candidats ont enfin le souci de recourir à des modes de communication plus modestes, qui symbolisent leur proximité avec les électeurs. En 1995, Jacques Chirac avait ainsi commencé sa campagne par de petites réunions lui permettant de dialoguer avec la société civile. De la même façon, les toutes premières réunions publiques de Ségolène Royal ont été conçues pour souligner combien elle était au cœur des préoccupations des gens : la candidate socialiste est ainsi intervenue non pas depuis une tribune, mais debout au milieu d’auditeurs assis en cercle autour d’elle.

Deuxième grande évolution : les réunions électorales présidentielles sont aujourd’hui davantage organisées pour donner lieu à des images pour les journaux télévisés qu’à l’intention des personnes qui sont présentes sur place. L’entrée des candidats est calée sur les horaires des journaux télévisés. Les décors, les éclairages et les tribunes sont conçus pour bien passer à l’écran. De jeunes militants sont placés aux premiers rangs pour souligner le soutien dont bénéficie le candidat. On donne aux participants des pancartes, des banderoles, des drapeaux qui amplifient la masse de la foule et témoignent de son enthousiasme. Dans certains cas, les images mêmes du meeting sont produites par l'équipe du candidat et fournies aux chaînes de télévision qui n'ont pas l'autorisation de capter leurs propres images.


Une spectacularisation de la politique ?

Cette construction des réunions publiques comme objet télévisuel ne témoigne pas forcément d’une plus grande spectacularisation de la vie politique… car les réunions politiques en public ont toujours comporté une dimension spectaculaire.
Lors des campagnes législatives de la fin du 19eme siècle, les réunions étaient contradictoires et, à la manière d’un match politique, opposaient plusieurs candidats lors de joutes oratoires (3) . Les banquets républicains du début du 20eme siècle, chers aux Radicaux, étaient de grands moments de réjouissance où l’on chantait et se racontait des blagues. Les meetings du Front populaire étaient des spectacles au sens propre du terme. Des chanteurs, chorales ou musiciens y participaient ; on demandait à des artistes plasticiens de concevoir les décors et on scénarisait leur déroulement. Ce qui a changé avec le développement de la télévision, c’est que le spectacle qu’ont toujours été les réunions politiques est désormais conçu pour un public qui n’est pas là, et non plus pour le public présent physiquement qui, lui, est devenu une des composantes du spectacle, acteur et non plus spectateur.

Les meetings sont-ils utiles ?


On peut se demander pourquoi les candidats, alors qu’ils peuvent toucher gratuitement des millions de personnes via les médias, persistent à utiliser cette forme de communication – coûteuse, lourde à organiser, et n’intéressant qu’une infime partie des électeurs (les enquêtes montrent que moins de 10% des électeurs assistent à un meeting durant la campagne). On peut trouver de multiples raisons à cela.
Les réunions publiques sont des sortes de grandes fêtes qui renforcent la cohésion des équipes de campagne et stimulent l’engagement des militants ou des sympathisants (qui constituent l’essentiel du public). Autre raison : les réunions publiques fournissent de belles images, celles d’un démocratie vivante. Elles symbolisent la communion du candidat avec le peuple. Loin de la communication froide des studios de radio ou de télévision, les réunions donnent de la chair et de la vie à la communication des candidats, la rendent plus attrayante et en démultiplient les effets. Dès lors, les sommes parfois importantes qui sont consacrées aux réunions publiques peuvent s’assimiler à un investissement publicitaire. Leur coût ( qui peut atteindre les 500 000 euros pour un meeting rassemblant plusieurs dizaines de milliers de personnes) doit être rapporté non au nombre de personnes présentes sur place mais aux retombées médiatiques qu’elles génèrent. Enfin, les candidats tiennent des réunions publiques tout simplement parce qu’ils aiment cela. Parler devant une vaste audience est une expérience exaltante, de l’avis de tous ceux qui l’ont vécue. Les candidats sont souvent transcendés, et leur discours gagne en force. François Mitterrand prenait une autre dimension lorsqu’il parlait devant une large assemblée. Et même les candidats qui ne sont pas forcément de très grands orateurs en public ne résistent pas à ces moments délicieux qui leur donnent le sentiment d’être portés par la foule et d’être entendus.



Ce texte est un extrait de Comment devient-on président(e) de la république? Les stratégies des candidats (Robert Laffont).
Vous trouverez d'autres éléments sur les moyens de communication utilisés par les candidats pour diffuser leur message dans le chapitre 5 de cet ouvrage.

Légendes et crédits photo:
- Meeting de F. Bayrou à Annecy le 8 mars 2007 (depuis le site du candidat)
- Banquet républicain sous la révolution (depuis le site du Sénat).
- Meeting de MG. Buffet au Zenith à Paris le 23 janvier 2007 (photo Julien
Foucher).
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(1) Source : Comptes de campagne publiés par le Conseil constitutionnel.
(2) Cette planification thématique des réunions publiques a été cependant pratiquée dès 1965, tout particulièrement par Jean Lecanuet.
(3) Voir M. Offerlé, Un homme, une voix? Histoire du suffrage universel. Paris: Gallimard, 2002. Michel Offerlé décrit la réunion électorale comme une forme de loisir de quartier où l’on vient parfois en famille (p. 89-91).

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vendredi 23 mars 2007

Machines à (bien) voter

Après les Etats-Unis, les opposants à l'utilisation des machines à voter se mobilisent en France.
Je reviendrai plus longuement sur le débat dans un prochain billet.
En attendant, essayez donc ces deux machines à voter.

La version américaine:






Voting Machine Bush vs Kerry - Ma-Tvideo France2
Voting Machine Bush vs Kerry - Ma-Tvideo France2



La version française, (en document powerpoint) plus rustique mais tout aussi efficace:

MACHINE A VOTER EXPERIMENTALE

jeudi 22 mars 2007

Les internautes et la politique à l'heure de la présidentielle

Le CEVIPOF vient de terminer une étude sur Les internautes et la politique dans le contexte de l'élection présidentielle.
Réalisée par sondage en ligne du 16 au 29 janvier 2007 auprès d'un échantillon de 1000 internautes représentatif de la population française internaute âgée de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas (sexe, âge, PCS, région*agglo), cette étude fait le point sur le profil sociologique des internautes, leurs pratiques d'information, leur implication politique ainsi que leurs intérêts et préférences à l'égard de la présidentielle. Elle apporte tout particulièrement d'intéressants éléments sur l'audience des sites politiques.

L'audience des sites politiques

La fréquence de visite des sites politiques


Souvent De temps en temps Rarement Jamais
- Le site de votre région, de votre département ou de votre commune 11,5 41.5 26.5 19.5
- Des sites de médias traditionnels (lemonde.fr, tf1.fr…) 16 38.5 23.5 22
- Des portails web d’information (yahoo, googlenews) 29 29 16.5 24.5
- Le site du gouvernement ou tout autre site d’un ministère 5 30 20.5 43.5
- Le site d’une association de défense des consommateurs, de défense de l’environnement, des droits de l’homme… 4 22 25 49
- Le site d’une association caritative (Secours populaire, Médecins du monde, Croix rouge…) 3 15 30 52
- Pacte-ecologique-2007, le site de Nicolas Hulot 2 9.5 13.5 74.5
- Le site de l’Assemblée national ou du Sénat 1 7.5 11.5 80
- Des sites de blogeurs traitant de politique et d’actualité (loiclemeur, versac, etienne.chouard, etc...) 1,5 5 12 81.5
- Le site de l’UMP, un autre site ou blog soutenant la candidature de N. Sarkozy 3,5 6.5 8.5 81.5
- Des sites citoyens (agoravox, sitoyen, acrimed…) 1,5 4 11.5 82
- Le site du PS, desirsdavenir, un autre site ou blog soutenant la candidature de S. Royal 2,5 6 7.5 84
- Le site du Président de la République 0.5 3.5 8.5 87.5
Ce tableau se lit de la façon suivante (exemple): 11,% des internautes visitent souvent le site de leur région, département ou commune.

Proportion de visiteurs de différents sites partisans selon l’orientation politique

% de visite au moins une fois PS /
Segosphère
UMP /
Sarkosphère
Nicolas
Hulot
Blogs politiques
- Gauche 23 12 24 26
- Ninistes 9 12 27 12
- dont ninistes intéressés par la politique 19 25 34 23
- Centre 21 23 29 17
- Droite 16 36 22 21
- Ensemble 16 19 25 19
Ce tableau se lit de la façon suivante (exemple): parmi les internautes se déclarant de gauche, 23% ont été au moins une fois (même si ce n'est qu'une fois) sur un site du PS ou de soutien à Ségolène Royal.

Les ninistes sont ceux qui ne se déclarent ni de gauche ni de droite (à ne pas confondre avec ceux qui se déclarenet proches du centre!).


Un résumé de l'étude sur le site de TNS-SOFRES PAR ICI

L'ensemble des résultats chiffrés de l'étude en format PDF PAR LA

mardi 20 mars 2007

Un facteur en campagne

Dans la série "ça aussi, c'est de la politique (mais on n'en parle pas forcément sur le web)", cette histoire édifiante du facteur du bureau de poste de Royère-de-Vassivière (Creuse) rapportée par le site Millebabords.

Ce facteur avait l'habitude de rendre de menus services aux personnes isolées auxquelles il distribue leur courrier. Aux uns, il apportait le journal du jour, aux autres un paquet de tabac ou des médicaments de la pharmacie. Conception humaine et généreuse du service public, pourrait-on penser.

Sauf que cette pratique est strictement proscrite par le réglement de la Poste qui interdit à ses préposés d'acheminer des objets non postaux. Du coup, il semblerait que le facteur de Royère risque la commission de discipline.



Le lien vers le site Millebabord fonctionne mal, mais vous pouvez obtenir l'article en demandant la page en cache sur Google.

jeudi 15 mars 2007

Un dimanche au bureau de vote

L'organisation d'un scrutin comme celui de la présidentielle réclame une impressionnante logistique. Avant l'élection, des commissions électorales sont mises en place dans chaque département afin d'envoyer à chaque électeur les professions de foi et les bulletins de vote. De leur côté, les communes, après avoir mis à jour les listes électorales, doivent installer des panneaux destinés aux affiches officielles des candidats et mettre éventuellement à leur disposition des salles pour leur réunions publiques. Enfin, pour permettre à plus de 42 millions d'électeurs de voter le 22 avril, ce seront quelque 65 000 bureaux de vote qui seront ouverts et plus de 200 000 personnes qui seront mobilisées. Au total, un scrutin comme celui de la présidentielle coûte plus de 200 millions d'euros à la collectivité, un montant qui globalement peut paraître considérable, mais qui, par électeur, représente un coût de moins de 5 euros.

Pour faire le point sur les modalités pratiques et organisationelles du vote, un colloque "Un dimanche au bureau de vote" est organisé le 5 avril par le Centre d'analyse stratégiques, organisme rattaché au Premier ministre: "de la mobilisation de l’administration communale au problème de la mal-inscription sur les listes électorales, en passant par l’expérimentation de nouvelles façons de voter", il proposera les analyses et réflexions de chercheurs, d' acteurs politiques, de militants associatifs et de responsables administratifs.

A noter tout particulièrement la session "L'accès au bureau de vote" durant laquelle interviendra Olivier Ihl qui traitera des rituels du vote ainsi que la session "Expérimenter" durant laquelle on parlera du vote électronique.
En 2007, environ 1 million d'électeurs votera sur des machines à voter (le vote par internet restant exclu en france), et cela suscite pas mal de remous. (Je reviendrai sur ce sujet dans un prochain billet).

Pour assister au colloque, il faut s'inscrire auprès de Nathalie Guichard avant le 26 mars.

Plus sur le coût de l'élection présidentielle: CDPR? chapitre 8, p. 209-231.
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Deux autres événements intéressants:

28 mars de 8h30 à 10h (auto-pub): Débat autour du livre Comment devient-on président(e) de la République, en présence de l'auteur avec Jacques Gerstlé (Université de Paris 1), Patrick Jarreau (Le Monde) et Philippe Lapousterle (conseiller communication de François Bayrou).
au CEVIPOF, 98 rue de l'Université, 75007 Paris. (Invitation ICI)

29 mars: Journée d'étude sur "Les campagnes électorales de 1848 à nos jours", organisée au Sénat par le Comité d'Histoire parlementaire et politique (CHPP). Insrciption obligatoire auprès de Ludivine Vanthournout



mardi 13 mars 2007

Tout va très bien, Madame Royal: langue de bois ou erreur cognitive?

Etonnant entreien de Jean-Louis Bianco, co-directeur de la campagne de Ségolène Royal, dans Le Journal du Dimanche du 11 mars (et dont on trouvera des extraits ICI à partir d'une dépêche AP - l'article n'étant pas en ligne sur le site du JDD).

En substance: tout va très bien. Inutile d'infléchir, en fonction des derniers développements de la campagne et des indications des sondages, la stratégie de Ségolène Royal. Son message passe d'ailleurs très bien et "il n'y a jamais eu autant de monde dans les meetings et réunions publiques", (ce qui est sans doute vrai et s'observe pour tous les candidats car, cette année, l'intérêt pour la campagne est nettement plus fort qu'en 2002). Enfin, Jean-Louis Bianco nie que certains électeurs socialistes puissent être séduits par François Bayrou, estimant que les médias ont créé "un effet de loupe et l'ont mis à la mode".

Je ne sais pas comment il faut lire cet entretien. Comme une illustration de la langue de bois, cette parole rigidifiée qui "scotche" les reponsables politiques à la ligne officielle de leur parti et les empêche de dire ce qu'ils pensent vraiment.
Ou, et c'est sans doute pire, comme la résultante d'une erreur cognitive, c'est à dire d'une incapacité à s'affranchir du schéma qu'on a adopté pour interpréter le monde qui nous entoure, ce qui du coup empêche de (sa)voir ce qui se passe vraiment. On reste prisonnier du cadre initial et on est incapable de percevoir ce qui n'est pas dans le cadre. (Par exemple, pour comprendre le dessin d'une main qui dessine une main il faut sortir du cadre et se rendre compte qu'il y a une troisième main, celle la personne "réelle" qui a dessiné ces deux mains).

En 2002, les socialistes avaient déjà été victimes d'une erreur cognitive particulière: la pensée en tunnel. Lionel Jospin et son équipe étaient tellement sûrs d'être au second tour qu'ils étaient aveugles aux événements conditionnant le premier tour. Ils ne voyaient que le bout du tunel (la campagne après le 1er tour) et ne voyaient pas ce qu'il y avait dans le tunnel (la campagne du 1er tour).

Plus sur ce sujet: CDPR?, chapitre 3

dimanche 11 mars 2007

Les sondages politiques, côté cuisine: la marge d'erreur n'existe pas

Faire un sondage disait Fédéric Bon (1), revient à goûter la soupe pour savoir si elle est trop, ou pas assez salée. Je voulais, à mon tour, mettre mon grain de sel, dans le débat sur les sondages et prolonger mon précédent billet. Mais je m’aperçois qu’on trouve ailleurs d’excellentes explications et ressources

-tout particulièrement cette page de questions-réponses sur les sondages sur le site d’IPSOS, remarquablement claire et synthétique.

- cet article de Loïc Blondiaux, paru dans Le Monde du 9 mars,

- l’émission Arrêt sur Images sur France 5 du 11 mars.

Néanmoins, puisque qu'on se demande si souvent si les sondages peuvent se tromper, je voudrais aborder le problème de la marge d'erreur dans les sondages politiques français et expliquer pourquoi

On ne connaît pas la marge d’erreur des sondages politiques

Lorsqu’on effectue un sondage sur les intentions de vote, ses résultats ne sont qu’une approximation des intentions de vote de l’ensemble des électeurs. Ainsi, avec un échantillon de 1000 individus, la théorie statistique nous dit que la marge d'erreur est à peu près de + ou - 3%, avec un intervalle de confiance de 95%. Ou, plus clairement dit, si le résultat donné par le sondage est de 47%, il y a 95 chances sur 100 pour que le "vrai" résultat soit situé entre 44 et 50%(2)

Sauf... qu’on ne peut calculer la marge d’erreur qu’à partir d’échantillons constitués aléatoirement. Or la plupart des sondages politiques français, sinon tous, sont construits selon la méthode des quotas (on construit un échantillon qui reproduit les structures socio-démographiques de l'ensemble de l'électorat), pour laquelle on ne sait pas calculer scientifiquement la marge d’erreur. Les responsables des instituts considèrent que la marge d’erreur des sondages par quotas est équivalente à celle des sondages aléatoires. Mais les statisticiens disent qu’on n’en sait rien.

Donc, dans un sens, les commentateurs n’ont pas tort d’oublier de rappeler qu’il y a une marge d’erreur, puisqu’on ne la connaît pas!

Reste à savoir pourquoi en France, à quelques exceptions près et à l’inverse de ce qui se passe dans d’autres pays européens et aux Etats-Unis, nous ne faisons pas de sondages politiques aléatoires, mais seulement des sondages selon la méthode de quotas.

Je n’ai pas trouvé de réponse précise à cette interrogation, même dans l’ouvrage de référence de Loïc Blondiaux. Mais, il me semble qu’il y a sans doute deux explications.
- La première est économique. Les sondages par quotas sont plus rapides et moins coûteux à réaliser. Comme l’explique très bien le site de l’IPSOS : « Avec l’aléatoire, les sondés ne sont pas ' interchangeables '. Cela signifie que la personne tirée au sort doit être recontactée autant de fois que nécessaire. Grâce aux quotas, il est possible de remplacer un sondé par un autre qui a les mêmes caractéristiques socio-démographiques ». Nénamoins, même avec cette contrainte, dans bien de nombreux pays, on continue à faire des sondages aléatoires.Alors pourquoi pas en France?
- Deuxième raison: pour pouvoir réaliser un sondage politique aléatoire, il faut disposer d’une base dans laquelle figurent tous les électeurs et dans laquelle on va tirer au sort des individus. Or cette base n’existe pas en France. Contrairement à d’autres pays où il y a un fichier national des électeurs, en France les listes électorales sont constitués localement par chaque commune.


(1) Bon F., Mayer N. et Brunier M.-A., Les sondages peuvent-il se tromper? Paris: Calman-Levy, 1974.
(2) On peut réduire la marge d’erreur en augmentant la taille de l’échantillon. Par exemple, si interroge 5600 personnes, la marge d'erreur ne sera plus que de + ou - 1,3%. Mais cela renchérit le coût des sondages et allonge la durée de leur réalisation.

mardi 6 mars 2007

Stratégies de campagne

Petit retour sur les stratégies de campagne menées jusqu'ici par les 4 "grands" candidats.

Une stratégie de campagne c'est la combinaison de trois types d'activités - politiques (ou programmatiques), communicationnelles et logistiques - autour d'un candidat. Pour analyser les stratégies des candidats, il faut autant examiner les actions qu'ils ont engagées dans chaque domaine que leur capacité à les coordonner.


La machine Sarkozy et ses fragilités

De ce point de vue, c'est sans doute la campagne de Nicolas Sarkozy qui, jusqu'à présent, peut le plus impressionner. Son appareil de campagne apparaît bien outillé sur le plan programmatique et fonctionne bien sur le plan logistique (les relations entre les trois pôles sur lesquels Nicolas Sarkozy s'appuie - le ministère de l'Intérieur, l'UMP et son équipe de campagne - étant plutôt harmonieuses).

NS est surtout particulièrement offensif en matière de communication : forte occupation de l'espace médiatique par la multiplication d'événements et de déclarations qui fournissent régulièrement de la matière fraîche aux journalistes ; réactivité aux initiatives de ses adversaires grâce à un suivi constant de l'actualité assuré par une cellule de veille ; déclinaison coordonnée et répétée du message du candidat par un groupe de porte-paroles et de parlementaires, suivant le principe du « stay on message » appliqué dans les campagnes de Tony Blair. La stratégie de Nicolas Sarkozy illustre bien les évolutions de la communication politique moderne : centralisation des actions, spécialisation des rôles, et professionnalisation des compétences.

On a néanmoins assez peu relevé le changement de cap opéré fin décembre par le candidat de l'UMP. Durant une grande partie de l'année 2006, Nicolas Sarkozy a axé son message sur le thème de la rupture et de « la France d'après » et pris des positions en décalage avec la tradition gaulliste. Il s'agissait sans doute de désamorcer préventivement les attaques menées sur le bilan du gouvernement auquel il appartient (point sur lequel ont souvent achoppé les premiers ministres en fonction qui se sont présentés à l'élection présidentielle). Depuis janvier, Nicolas Sarkozy a amendé son programme et retenu un slogan moins flamboyant. Cette réorientation, sans doute nécessaire pour assurer la cohésion politique de l'UMP et rassurer certaines parties de son électorat, témoigne d'une grande capacité d'adaptation. Mais elle a aussi brouillé quelque peu le message de Nicolas Sarkozy et on aperçoit désormais moins bien l'axe majeur qui structure sa campagne.
L'autre fragilité de NS, c'est le risque d'usure. La machine tourne à plein depuis de nombreux mois et on a parfois le sentiment que le candidat nous a déjà presque tout dit.


Ségolène Royal: une erreur cognitive?

Par contraste, la stratégie de Ségolène Royal est apparue plus hésitante. L'équipe de campagne a rencontré au moins trois problèmes.
Le plus manifeste est un manque de coordination entre l'état-major de la candidate socialiste et l'appareil du PS. Les ressources de ce dernier n'ont pas été suffisamment mises à profit, d'où une tendance à la démobilisation chez de nombreux responsables, militants et experts socialistes, sans compter quelques dysfonctionnements dans l'organisation matérielle de la campagne.

Deuxième difficulté : la temporalité lente de campagne choisie par Ségolène Royal s'est heurtée à la temporalité plus rapide des médias. Alors que la candidate socialiste était toujours dans une phase d'écoute, les médias étaient déjà passés dans une phase de comparaison et d'évaluation des programmes. D'où un sentiment d'absence de projet de la part de Ségolène Royal.
Enfin, on peut être surpris par la communication peu offensive de l'équipe de campagne de Ségolène Royal. Celle-ci s'est surtout attachée à se défendre contre les attaques - par exemple après sa déclaration sur le Québec, ou sur le coût de son programme après le discours de Villepinte - plus qu'à questionner les positions de ses adversaires.

Plus généralement, on a l'impression que l'équipe de Ségolène Royal est restée prisonnière des schémas cognitifs de ses précédentes victoires électorales (les régionales de mars 2004 et les primaires du PS en novembre 2006) et n'a pas pris toute la mesure de la complexité et de la dimension conflictuelle du nouvel environnement politique dans lequel elle devait opérer. Comme si le changement d'échelle qu'impliquait la campagne présidentielle n'avait pas été bien perçu, ainsi qu'en atteste le sous-dimensionnement initial de l'équipe de campagne de Ségolène Royal.
La réorganisation de l'équipe de campagne intervenue fin février s'efforce de répondre à ces difficultés. Symboliquement, elle témoigne de la capacité de Ségolène Royal à réaliser les compromis nécessaires et est de nature à remobiliser l'électorat de gauche. Opérationnellement, Ségolène Royal pourra s'appuyer sur des leaders socialistes expérimentés et capables de décliner plus offensivement son message.


Bayrou: l'image de l'homme tranquille

Comme on le sait, François Bayrou a su s'insérer dans le débat électoral en questionnant l'indépendance des médias. Par delà la réalité du problème et les convictions sincères du candidat centriste sur le sujet, cette stratégie s'est avérée habile : elle a contribué le distinguer de ses adversaires mais aussi à capter l'attention des médias en jouant à la fois de leur tendance au narcissisme et de la concurrence nouvelle entre les médias traditionnels et un Internet, supposé plus émancipé.

Ce qui me frappe dans la stratégie de François Bayrou, ce n'est pas tant les innovations dans son dispositif de campagne, au demeurant plus modeste que celui de ses adversaires et traditionnellement assez décentralisé, ou la nouveauté radicale de son discours (qui s'inscrit dans la tradition idéologique du centre droit) que la maturité de l'homme. Comme François Bayrou le répète lui-même, il a changé. On note chez lui une sorte de sérénité, qui lui permet d'avoir une relation plus paisible avec les médias et donne plus de force à son message.
Ce qui nous rappelle combien l'expérience compte dans une élection présidentielle. On a beau sophistiquer l'outillage des campagnes ou concevoir des stratégies de communication complexes, c'est aussi à partir de la personnalité du candidat que se construit une campagne.


La campagne traditionnelle de Le Pen

Quant à la stratégie de campagne de Jean-Marie Le Pen, elle peut apparaître plus souterraine, si on se fie à l'écho qu'en donnent les médias. Ceci est peut-être dû au fait que le Front national concentre pour l'instant ses énergies sur la collecte des parrainages (à laquelle il a déclaré consacrer un budget d'1 million d'euros).
Après un engagement tonitruant avec une série de 6 affiches, le candidat n'en continue pas moins de faire une campagne, qu'on peut qualifier de traditionelle, selon deux axes : en tenant régulièrement des meetings en province qui lui permettent de délivrer de grands discours programmatiques et de mobiliser ses sympathisants les plus engagés, toujours friands des prestations oratoires du chef ; en apparaissant régulièrement à la télévision, médium traditionnellement favorisé par le candidat du Front national car c'est celui qui lui permet de toucher le mieux son électorat.


Ce texte est extrait d'un entretien publié sur le site de l'IFOP.

dimanche 4 mars 2007

Le rôle et les effets des sondages sur l'élection présidentielle

Lors de chaque campagne électorale, on s’interroge rituellement (mais à juste titre) sur les sondages d’opinion. Quatre questions sont en général discutées : Les sondages sont-ils un outil fiable pour mesurer les intentions de vote ? Ne font-ils pas l'objet d’utilisations stratégiques visant à manipuler les électeurs plus qu’à les informer ? En quoi affectent-ils le déroulement de la campagne électorale ? Enfin, les sondages ont-ils des effets sur les votes des électeurs ?
Dans ce billet, je vais traiter les deux dernières questions. Et je reviendrai sur les deux autres dans un billet ultérieur.


Le rôle des sondages sur le déroulement des campagnes électorales.

Les sondages ont au moins quatre fonctions lors d’une campagne électorale.

1) Ils participent à la sélection des candidats. Les personnalités bénéficiant d’une forte popularité dans l’opinion apparaissent, aussi bien aux yeux des partis qu’à ceux de la presse, comme des candidats légitimes. En 1995, les mauvais chiffres dans les sondages d’Henri Emmanuelli ont été un des éléments qui ont incité les militants socialistes à lui préférer Lionel Jospin (après avoir attendu vainement, tout l’automne 1994, que Jacques Delors, le candidat socialiste le plus populaire dans l’opinion, se déclare). Tout comme les piètres résultats d’Alain Lipietz dans les enquêtes d’opinion de septembre 2001 ont conduit les Verts à remplacer ce candidat, qu’ils avaient pourtant investi, par Noël Mamère.

2) Ils déterminent indirectement l’accès aux médias audiovisuels. La réglementation française prévoit que, durant la pré-campagne, les médias audiovisuels doivent couvrir les candidats de façon "équitable". Comme cette notion n’a jamais été définie précisément par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), la pratique est de considérer qu’il y a équité lorsque le temps d’antenne consacré à un candidat est proportionnel à son importance politique. Et pour déterminer celle-ci, et faute de mieux, les médias audiovisuels s’appuient essentiellement pratique sur les sondages d’intention de vote.

3) Ils aident les candidats à ajuster leurs stratégies de campagnes. Grâce aux sondages (ceux publiés dans les médias ou ceux qu’ils font réaliser à titre privé), les candidats peuvent en effet mesurer l’impact de leur message dans les différentes catégories de la population et réorienter, si nécessaire, leur campagne pour corriger leurs faiblesses. C’est en s’appuyant sur des sondages qui enregistraient une baisse de popularité (notamment chez les jeunes électeurs) qu’Edouard Balladur a été amené à réorienter significativement sa campagne fin février 1995.

4) Enfin, les sondages tissent une sorte de fil rouge qui aide à suivre la dynamique de la campagne, les retombées des actes lourds des candidats ou celles des diverses péripéties du débat électoral. Ils ajoutent à la dramaturgie de la compétition présidentielle, et structurent le récit qu’en font les journalistes et observateurs en tout genre. Cet impact des sondages est souvent critiqué dans la mesure où il fait ressembler les compétitions électorales à des courses de chevaux. L’observation est juste, sauf qu’on peut se demander comment nous ferions pour mesurer la dynamique de la campagne si nous n’avions pas de sondages.


Les effets des sondages sur la vote

Comme souvent en matière d’effets communicationnels, les travaux sur le sujet n’aboutissent pas à des résultats univoques. Au moins quatre types d’effets ont été identifiés par les chercheurs en communication politique.

Il y a d’abord des effets cognitifs : les électeurs tirent des sondages des informations qu’ils utilisent pour déterminer pour quel candidat ils vont voter.
Ces effets cognitifs peuvent conduire les électeurs à une plus forte implication. C’est le cas, lorsque les sondages font apparaître l’élection comme extrêmement disputée ou indécise, ou bien lorsque à partir des résultats des sondages, des électeurs décident de pratiquer un vote stratégique (en votant non pas pour leur candidat préféré, mais pour un autre candidat politiquement proche de lui, dans l’espoir de donner une signification particulière à leur vote et/ou d’adresser un message à leur candidat préféré). Les destins contrastés des candidatures de Lionel Jospin en 1995 et 2002 illustrent bien ces deux cas de figure
Mais en sens inverse, les sondages peuvent conduire à une démobilisation ou un désengagement, soit parce qu’ils semblent indiquer que l’élection est déjà jouée, soit parce qu’ils montrent que le candidat pour lequel on aurait pu voter n’a aucune chance.

Les sondages ont aussi des effets affectifs : ils ont une influence sur les sentiments qu’on éprouve à l’égard des candidats et peuvent jouer, cette fois sur un mode plus émotionnel, sur le vote. Là encore leur influence peut être positive ou négative.
"L’effet contagion" (bandwagon), conduit certains électeurs, généralement les moins politisés, à voter comme la majorité. Ce mécanisme est assez proche de la spirale du silence décrite par Elisabeth Noelle-Neumann, suivant laquelle les personnes minoritaires dans un groupe rechignent, par peur de l’isolement social, à exprimer leur opinion personnelle, et se rangent à l’opinion dominante. Cet effet peut se retourner contre un candidat : si celui-ci commence à reculer dans les sondages, il peut y avoir un mouvement exponentiel de panique qui conduit un nombre croissant d’électeurs à l’abandonner (on parle alors de reverse bandwagaon ou d’effet Titanic).
En sens inverse, on constate parfois un effet de compassion (underdog), parfois appelé "effet Croix-rouge" : ici des électeurs vont venir au secours des candidats ayant de faibles scores dans les sondages en leur apportant leur voix, parce qu’ils estiment qu’on les a trop marginalisés et qu’ils ont droit à une représentation minimale, ou parce qu’ils considèrenet que, si un candidat est mal traité par les sondages, c’est qu’il doit avoir au fond "quelque chose de bien" (on rejoint alors une sorte de théorie du complot).

On peut encore raffiner l’analyse en distinguant les effets des sondages sur le niveau des intentions de vote ou sur les mouvements d’opinion, ou encore en tenant compte du mode de scrutin (un scrutin majoritaire fait en général apparaître des effets plus forts et plus complexes des sondages qu’un scrutin proportionnel).


Pour aller plus loin:

- Comment devient-on président(e) de la République? Les stratégies des candidats.
Chapitre 2 – Section "Les chouchous des médias et des sondages"
Chapitre 3 - Section "La connaissance des électeurs et des comportements électoraux".

- Blondiaux L., La fabrique de l'opinion. Une histoire sociale des sondages. Paris: Editions du Seuil, 1998.

- Cautrès B., "Les électeurs et les sondages". In Perrineau P. (dir.) Atlas électoral. Qui vote quoi, où, comment? Paris: Sciences-po Les Presses, 2007, pp. 119-123.

- Irwin G. A. et Van Holsteyn J. J. M. "Bandwagons, Underdogs, the Titanic, and the Red Cross. The Influence of Public Opinion Polls on Voters". Communication présentée à XVIIIth Congress of the International Political Science Association, Québec, 1-5 August, 2000.


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vendredi 2 mars 2007

L'art de se taire (quand le téléphone sonne)

Lors de la présentation de mon livre à l'Institut français de presse, une étudiante m'a demandé pourquoi je n'avais pas défendu plus vivement mon point de vue lors de l'émission Le téléphone sonne du 6 février sur France Inter consacrée au rôle de l'internet dans la campagne présidentielle (hélas plus en ligne).
"Pourquoi avez-vous laissé tomber face aux deux autres intervenants (Bernard Stiegler et Thierry Crouzet qui s'enthousiasmaient sur la manière dont l'internet révolutionne la politique)", m'interrogeait-elle justement?

C'est vrai que je n'ai sans doute pas fait preuve d'assez de pugnacité cette fois là. Comme d'autres chercheurs, j'ai parfois de la peine à faire passer "mon message" dans les médias. (Je reviendrai sur ce sujet après la campagne).

L'autre raison, c'est que j'ai naturellement tendance à faire mien ce conseil de l'Abbé Dinouart(*) (mis en exergue de la conclusion de mon ouvrage):

"Le premier degré de la sagesse est de savoir se taire ;
le second, de savoir parler peu, et de se modérer dans le discours ;
le troisième est de savoir beaucoup parler, sans parler mal et sans trop parler".

Viiblement, je n'en suis qu' au premier degré de la sagesse, et je commence à peine à aborder le second.

(*) Abbé Dinouart, L'Art de se taire (Introduction). Initialement paru en 1771, cet admirable petit traité a été réédité en 1996 aux Editions Jérôme Million, à Grenoble